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Régine Kolle

Cet entretien se propose de discuter et d’approfondir certains points de commentaires apportés sur le travail de Régine Kolle, à l’occasion de son exposition à la galerie Alain Le Gaillard (20 sept.-29 nov. 2003). Il donne l’occasion de découvrir plus largement une pratique polymorphe qui se développe autour de problématiques essentiellement picturales.

Philippe Coubetergues. Ce qui frappe de prime abord dans votre travail, c’est sans doute l’imagerie particulière qu’il convoque. J’ai employé l’expression d’une figuration aux connotations diffuses. On ne saurait dire exactement à quel univers imagé elle renvoie.
Régine Kolle. J’ai fait beaucoup de dessins entre autres à partir de photos que j’avais faites lors de mon séjour en Californie. Avec ces images notamment, j’ai commencé un stockbook auquel je me suis référé pour certains tableaux. Un des wallpainting (Sofa n°1/2) réalisés actuellement sur les murs de la galerie est la reproduction exacte d’un de ces dessins. Les deux autres en revanche sont extraits du film d’animation également visible dans l’exposition. Ce sont deux images clefs, le début et la fin d’une action.
Voilà pour l’origine des dessins sur le mur, par exemple, mais cela est vrai aussi des tableaux. Quant à l’univers auquel ces images renvoient, il s’élabore comme celui d’un roman en train de s’écrire. J’ai été très frappée par les univers de certains polars, certains films d’action, mais aussi par certains films d’horreur comme L’Exorciste, par exemple. Tout ce qui fait décalage.

Il y a dans les motifs une certaine familiarité, à la fois dans le sens d’un mot familier mais aussi dans le sens d’une certaine proximité. À quoi cela tient-il ?
Cela vient, je crois, de leur côté subculture en anglais, culture populaire — sans doute — en français. On reconnaît des formes, des personnages qui rappellent l’animation et le graphisme, voire la bande dessinée bien que ce soit encore très différent. Cela tient au style, je pense, le trait épais, la ligne affirmée. Cela peut évoquer également l’histoire de la peinture, à la façon d’un clin d’œil. C’est le cas de Earthconnexion B qui est tableau qui n’est justement pas traité avec des lignes mais avec de la matière épaisse et qui joue de cette référence à la “ grande peinture ”.

Vos images racontent-elles des histoires, sont-elles le moment crucial ou culminant d’une narration que vous avez imaginée ? Qu’elle importance donnez-vous à la fiction ?
Un tableau, ce n’est pas forcément une histoire très élaborée. Il y a des liens entre les tableaux, c’est vrai, et l’ensemble se constitue comme un univers narratif fragmenté. Mais les relations entre les tableaux se jouent également au niveau plastique, celui des couleurs, des formes. Si je devais continuer ce rapprochement avec l’écriture, je dirais que mes tableaux correspondent plutôt à tout ce qui se met en place en amont dans l’écriture d’un roman, la structure, la grammaire, les caractères, tous ces éléments, tous ces outils nécessaires à l’écriture.

La gestuelle des personnages, les poses qu’ils adoptent apparaissent particulièrement signifiantes. J’ai parlé de poses stéréotypées associées à une banale arrogance. Qu’en pensez-vous ?
Dans un tableau la représentation d’un personnage, c’est déjà beaucoup. Le geste, c’est encore quelque chose de supplémentaire. Quant à l’environnement, c’est presque trop, j’essaye de le mettre à distance, j’en fais juste un élément graphique. Mais le geste, c’est primordial, c’est la clef du tableau. Ça peut se lire comme un symbole. Par ailleurs, tous les personnages regardent le spectateur, en fait et c’est ce qui produit peut-être ce que vous voyez comme une arrogance. Ce sont des héros, ils sont fiers d’être là, Wendy, par exemple, elle est debout comme ça, comme les petites filles qui affirment leur droit à être là, dans le monde et peut-être même, de provoquer. C’est n’importe qui, mais elle se présente comme une star, comme une héroï;ne. C’est un acte héroï;que, quant même, d’être sur un panneau comme ça contre le mur avec les gens qui vous regardent.
J’y suis très attachée à ces personnages, je leur donne tout ce qui leur faut pour être bien dans ce monde. Leur héroï;sme est en fait assez dérisoire. Il n’y a qu’à regarder le grand tableau intitulé Champion.

Tout cela nous amène à parler du spectateur, de celui qui regarde le tableau, la vidéo. Vous l’imaginez comment, plutôt voyeur, plutôt contemplatif, plutôt choqué ?
À la limite plutôt contemplatif, chaque peinture est une entrée dans un monde. Mais le fait de passer d’un tableau à l’autre génère un autre enchaînement qui renvoie à celui de la production. Les films sont assez intimes ce qui peut induire un certain voyeurisme. Il y a aussi certains personnages des tableaux surpris dans une situation un peu limite, comme cette fille complètement ivre dans Dead drunk Girl. C’est assez voyeur comme image. Mais sinon les autres personnages dans ma peinture posent comme dans une photo. Ils s’affirment. Ils sont à proprement parler en représentation, et le spectateur lui, il est au spectacle.

À la pauvreté du motif, son dénuement, s’ajoute une certaine “ crudité ” de l’image, ce qui m’a amené à parler d’une image sans qualité. Est-ce que vous êtes d’accord ?
J’aime bien cette idée, cette formulation. Je cherche à obtenir des images peintes qui conservent malgré l’accumulation de matière picturale la banalité des images populaires très reproduites et de faible définition. Ce sont des images qui tombent à côté, des images banales.

Je voudrais maintenant que l’on aborde des questions liées à la conception des œuvres. J’ai relevé deux options de composition dans les tableaux : ou bien un cadrage plutôt serré, qui ampute ou bien au contraire un motif qui s’étale, qui prend toute la place dans le format.
En regardant un format, je projette un début de peinture dessus à une certaine échelle adaptée. J’aime effectivement les cadrages qui coupent, toutes les lignes doivent déborder le tableau. Pour expliquer le cadrage dans mon travail, je dirais que la peinture est placée à un endroit et qu’elle est traversée par des lignes qui se trouvent être celles de la composition, un peu comme un cadrage photographique.

Ces cadrages génèrent une même frontalité. C’est recherché ?
Je veux que le regard frôle l’image, là de face, bien claire. Mais cette franchise de l’image, cette netteté évidente instaure également une distance qui tient du logo, du symbole simplifié.

Effectivement, c’est très net, le dessin impose un peu sa loi dans votre travail. La composition est très cloisonnée, très découpée. Cela vient sans doute des dessins préparatoires que vous utilisez.
Ce ne sont pas des dessins préparatoires, ce sont des dessins qui me servent de matrices. Le passage à la peinture impose un travail plus en profondeur qui interroge le dessin d’origine ; le passage à la couleur le transforme. Les dessins d’origine ne sont pas très travaillés, ils sont faits au trait avec un crayon, sans ombre, sans modelé. Je les reprends tels quels avec le même cadrage et je cherche à rendre leur évidente efficacité avec les moyens de la peinture. La couleur apparaît, la tâche se confronte à la ligne, les lignes et les contours deviennent des tâches.

De son côté la gamme chromatique employée est assez réduite. Quel est le rôle de la couleur ?
Cela se joue dans l’apparition de la troisième couleur. Dans un tableau, tout est limité au strict minimum. Tout se joue au départ entre deux couleurs. Arrive ensuite la troisième couleur en quantité bien moindre mais qui impose sa loi malgré tout.
Ma palette change souvent en fonction des lieux où je travaille. C’est très intuitif. Cela doit correspondre à des préférences de type psychologique. Ainsi, les tableaux se regroupent par familles marquées par une palette plutôt qu’une autre.
Je recherche aussi des confrontations chromatiques d’un tableau à l’autre. Ça n’est pas toujours harmonieux, ça s’agace, ça s’agresse.

Parlons maintenant de la facture. La pâte colorée est le plus souvent grassement étalée sur la toile.
En fait j’utilise un produit qui donne à la peinture la consistance d’un yaourt crémeux et épais. J’ai parfois envie de lécher le pinceau. C’est très sensuel. Et ça reste épais sur la toile, comme ça. J’utilise aussi, bien sur, la couleur pure ou un peu mélangée mais sans produit ajouté. Dans ce cas, la pâte est plus difficile à étaler et cela marque la toile de façon très différente.

Les formats de vos toiles sont rarement importants.
Ce n’est pas vrai, j’utilise des formats de toutes tailles. En fait, je ne décide pas vraiment, cela tient le plus souvent à la taille de l’atelier où je travaille. Pour un même tableau, il m’arrive aussi de réaliser deux versions dans deux formats différents, un grand et un petit. Il m’arrive de vouloir tester certains tableaux qui sont importants pour moi dans une grande version. cela peut donner autre chose.

Vos tableaux font penser à des écrans peints. Cela est-il dû, selon vous, aux références que vous avez citées, le cinéma, la télévision, le dessin animé ?
J’ai essayé de copier, en peinture, la maladresse du dessin que l’on fait à la souris devant son ordinateur. Le dessin est imparfait, les tâches sont impossibles à maîtriser vraiment. Je cherche parfois à rendre cet effet là, quelque chose comme ça de plastifié, de vitré, une image qui rappelle celle de l’écran.

Enfin, vos titres sont systématiquement en anglais, pourquoi ?
L’anglais est une langue qui est pour moi très lié à l’image. Le français est plus proche du dessin, c’est une langue qui évoque un dessin plus conceptuel. Par ailleurs, l’anglais utilise moins de mots et est moins précis. Il me semble, que l’anglais demande plus d’imagination.

Entretien réalisé en novembre 2003 par Philippe Coubetergues pour paris-art.com.

Lien
Lire l’article sur l’exposition de l’artiste à la galerie Alain Le Gaillard (20 sept.-29 nov. 2003), à Paris. Lire l’entretien de paris-art.com avec l’artiste

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