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Regards croisés. Collection Claudine et Jean-Marc Salomon

Coup de projecteur sur la collection privée Salomon : des installations et des œuvres où prime l’idée d’espace et de circulation. Une collection née de la passion d’un couple de mécènes pour l’art contemporain et présentée chez un autre couple tout aussi passionné.

— Éditeur : Fondation d’art contemporain Florence et Daniel Guerlain, Les Mesnuls
— Année : 2002
— Format : 14,50 x 12 cm
— Illustrations : quelques, en couleurs et en noir et blanc
— Pages : 51
— Langue : français
— ISBN : non précisé
— Prix : 8 €

Une collection altruiste, ici et maintenant
par Philippe Piguet (extrait, p. 8-12)

« Je n’achète pas une œuvre pour l’accrocher chez moi sur un mur. Si je le fais, c’est qu’elle me parle et je pense tout aussitôt qu’elle peut intéresser les autres. »
Jean-Marc Salomon

Voilà seulement cinq ans que les Salomon collectionnent, au sens que l’on prête ordinairement à ce mot, c’est-à-dire qu’ils sont sur le terrain en quête de l’acquisition d’œuvres destinées à former un tout identifié à leur personnalité. On pourra penser que c’est un temps trop court pour juger d’une telle démarche, voire de sa qualité, mais la vivacité et la plénitude de l’engagement des Salomon sont inversement proportionnelles à l’attente qu’ils se sont donnée pour agir. Par ailleurs, leur façon de s’y investir, qui les a conduits à mener de front la constitution d’une collection et la création d’une fondation, n’est pas innocente de la révélation d’une attitude fondamentalement altruiste. Un comportement duel qui sanctionne — si c’était nécessaire — leur originalité.

À l’historique des motivations qui auraient pu conduire Jean-Marc Salomon à s’intéresser à l’art contemporain ne figure aucune espèce de signe proprement prémonitoire et l’on ne relève dans sa famille aucun exemple atavique. Seul, son intérêt pour le festival de films d’animation dont sa belle-mère était responsable et qui avait lieu chaque année à Annecy — ville dont il est originaire — a peut-être pu influencer le jeune homme qui en suivait fidèlement tous les actes. « Je baignais un peu dans cette atmosphère de relation avec les artistes » se souvient-il tout en précisant combien ceux-ci pouvaient lui apparaître « un peu comme des demi-dieux, dans le sens où leur rôle est de créer des passages ». Si l’on peut ajouter à cela le fait que Jean-Marc Salomon a fait des études d’architecte, il est difficile d’en tirer des conclusions trop hâtives, Qui dit « architecture » ne dit pas « arts plastiques ». D’ailleurs, quand on lui demande quelle est l’émotion la plus forte qu’il se rappelle avoir eue face à une Å“uvre d’art, il n’hésite pas un instant : « La maison de Le Corbusier à Zürich ! … », quand bien même il s’empresse d’ajouter: « …et puis Le Piano de Nicolas de Staël, l’un des deux derniers tableaux inachevés que l’artiste a laissés avant de mourir. Ce sont des choses face auxquelles j’étais vraiment en larmes. »

Quant à sa première expérience d’art contemporain, Jean-Marc Salomon se rappelle parfaitement la très forte impression que lui a faite Brandt/Haffner, une œuvre de Bertrand Lavier de 1984, faite de la superposition d’un frigidaire et d’un coffre-fort, vue au musée de Grenoble. « Ce fut tout d’abord une incompréhension totale. Par la suite, je me suis très vite rendu compte que la beauté n’était pas l’apanage des artistes contemporains mais qu’ils abordaient le monde d’une autre manière. J’ai ainsi commencé à apprécier l’art contemporain. »

Puis, Jean-Marc Salomon ne cache pas l’immense bonheur que lui a procuré au fil de ses découvertes la visite de la collection Hoffmann à Berlin : « Un lieu extraordinaire qui est un peu comme son appartement. Une manière de vivre avec les œuvres qui n’a plus rien à voir avec l’hédonisme ordinairement réservé à l’art moderne. »

Si l’architecte est irrésistiblement en filigrane derrière de tels propos, c’est aussi que, peu à peu, la curiosité du collectionneur pour la création contemporaine va s’échafauder au regard de propositions contingentes, relevant de la troisième dimension et jouant sur les modes tant de la sculpture que de l’installation. Le virtuel, le trompe-l’œil, l’illusion ne sont pas son fait. Le mécène-collectionneur est à la recherche d’œuvres qui interrogent notre relation au monde, qui la mettent en question et la bousculent par rapport aux conventions établies. Non au cœur d’un discours et de gloses qui s’enlisent dans l’abscons mais dans une confrontation en prise avec le réel et le soin d’un partage avec l’autre. Les œuvres de la collection Salomon sont pour l’essentiel des pièces qui sous-tendent les notions de déambulation, de circulation, de déplacement, donc d’une appréhension expérimentale et ressentie de l’espace — autant dire ce qui relève par nature de toute formation d’architecte.

Dès lors qu’a été réalisée la vente de l’entreprise familiale de fabrication de skis et que les Salomon se sont trouvés en situation financière de pouvoir mettre à exécution leur double projet de constituer une collection et de créer une fondation, ils se sont complètement immergés dans le monde de l’art. Si l’on comprendra aisément que, dans un premier temps, ils se soient tournés vers l’achat de quelques œuvres des années 1950-1970, ils n’ont pas tardé à circonscrire le champ de leur intérêt sur des œuvres des années 1990. Leur premier achat vraiment contemporain ? « Un Boetti, raconte Jean-Marc Salomon. L’idée qu’un artiste puisse faire faire son œuvre par quelqu’un d’autre m’a fasciné d’autant que cela rejoignait quelque peu ma propre activité d’architecte. »

Sans chercher à rattraper un train qu’ils n’avaient pas pris, les Salomon ne se sont pas interdits de nantir leur collection de quelques pièces d’artistes aînés comme Gilbert & George ou Arnulf Rainer afin d’asseoir celle-ci sur une base solide. Soucieux de porter leur dévolu tant vers certaines figures incontournables de la scène artistique internationale qu’à l’égard de jeunes artistes émergeants, comme Anne Ferrer, Delphine Coindet ou Guy Limone, Claudine et Jean-Marc Salomon ont acquis à ce jour quelque cent cinquante pièces, la plupart dans cette articulation d’intérêt au volume. Si ce dernier ne cesse d’insister qu’il n’achète pas pour lui, ce n’est pas qu’il se croie doué d’une quelconque mission charismatique mais il ne peut concevoir son rôle de collectionneur que sous l’angle mécène. Un mécénat qui trouve son public dans la fondation qu’ils ont créée au château d’Arenthon, à Alex, au-dessus d’Annecy, réaménagé par Jean-Marc lui-même en centre d’art afin d’en faire un lieu de vie à la découverte de l’art contemporain. Un peu comme s’ils avaient voulu finalement lui rendre la monnaie de sa pièce. Pour les Salomon, une œuvre d’art se partage et leur souhait est que leur collection voyage, que les pièces circulent dans les musées. Chaque fois qu’ils sont sollicités pour prêter une œuvre, ils le font sans hésiter. Très favorables à l’idée de dépôt dans les institutions, ils regrettent que cette pratique ne soit pas courante en France. « Quand nous avons acheté Exotica de Anne et Patrick Poirier, nous avons été en discussion avec un grand musée d’art contemporain pour la lui laisser en dépôt. Hélas, cela n’a pas pu se faire pour diverses raisons, tant de place que de méfiance des conservateurs par rapport à l’idée de « sanctification » que le musée pouvait apporter à une œuvre appartenant à un privé ! »

(Texte publié avec l’aimable autorisation de la fondation Guerlain)

L’auteur
Philippe Piguet est commissaire de l’exposition « Regards croisés » à la fondation Guerlain (16 mars-11 mai 2003)

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