Après la série Masques, voici tout naturellement Regards. Après le loup voici venir les crocs. Après le déguisement place au dévoilement. Les précédentes photographies étaient des natures mortes. L’artiste avait consitué une collection de postiches. Comme chaque fois la composition s’étalait sur un fond neutre. Le travail sur la couleur était central. C’est ce même travail que l’on retrouve aujourd’hui.
Les bandeaux sont désormais portés, ils trouvent des têtes à masquer. Les halos chromatiques cerclent les visages, ils tracent des frontières lumineuses entre le sujet et le reste du cadre. Les deux séries sont très proches formellement. La différence réside dans l’intention.
Dans les deux cas la technique employée est la même. L’artiste fabrique des masques, ici des sortes de capuches géantes, à l’aide de vêtements (chemises) encollés et rigidifiés. L’objectif des Masques était de «recomposer un corps avec un vêtement qui le recouvre». Ici le rôle du vêtement est de cerner le regard des personnages — enveloppés de couleur, pris en tenaille dans cette lumière intense. Le recentrage du propos passe par un focus précis et implacable.
Un fond blanc, le souci du détail, la partie à la place du tout, sont les marques de fabrique, autant que les réflexions récurentes, de Patrick Tosani. Ses clichés de cuillères, de cuirs chevelus, d’ongles tirés en grand format appartiennent à la pratique photographique. La question du choix du sujet, du cadrage, de l’inversion des dimensions, appartient spécifiquement au médium, et participe de son évolution actuelle.
Le travail du photographe, de l’artiste, réside dans le choix de ce qu’il dévoile. Il décide, il montre. Il n’accouche pas de formes, il les dévoile à peine, même si elles éclatent en plein milieu du cadre. Non, lui, il choisit, il retient, il sélectionne. Il élimine pour mieux montrer. Il isole autant qu’il rejette. Il pratique un art du pourtour, du tracé, de l’exergue. Il prend la partie pour le tout, et maintenant il fait coïncider la périphérie avec le centre.
Les capuches de toutes les couleurs capitonnent les visages d’enfants, elles les enferment, elles sont des cibles pour nos regards. Pourtant même si la qualité, le rendu, l’originalité sont présents, force est de constater que ce qui nous est promis nous est retiré. Malgré les huit photographies présentées, il n’y a que des absences de regard. Les taches de couleurs, par ailleurs très belles, font écran à ces regards de l’indifférence. Ces paravents de huit couleurs masquent plus qu’elles ne dévoilent. Le vêtement fonctionne comme un tampon, il isole, il circonscrit.
Les regards restent fixes, ils se figent dans un au-delà qu’il est difficile d’atteindre. La couleur irradie tellement la surface blanche qu’il est très difficile de percer ce mur. Les regards se perdent. Comme précédemment l’absence semble être le nœud de l’œuvre de Tosani. Celle-ci se confond avec le centre. Le renversement des valeurs passe par ce centre périphérique, par cette tâche de couleur au milieu de l’image. Le regard est taché, il est embrumé, il scille sous la couleur.
Patrick Tosani
Série Regards , 2001: huit photos couleur c-print, bois. Dimensions variables.