L’exposition « Sous le regard de machines pleines d’amour et de grâce » au Palais de Tokyo explore à travers les œuvres d’une dizaine d’artistes l’influence des nouvelles technologies sur nos sensations et la façon dont nous les représentons.
L’utopie d’une harmonie entre humains et « machines pleines d’amour et de grâce »
L’exposition est placée sous l’égide de Richard Brautigan, écrivain américain qui, en 1967, distribua gratuitement dans les rues de San Francisco un recueil poétique intitulé All Watched Over By Machines Of Loving Grace. Un court poème éponyme y prédisait de façon ambiguë l’avenir partagé entre les humains et les machines. A l’idée d’une entente mutuelle programmée entre être humains, animaux et machines s’opposait l’évidence d’une impossibilité de cette harmonie. Selon les propres mots de Richard Brautigan, une telle utopie échouerait « sous le regard de machines pleines d’amour et de grâce ». L’exposition présente le poème sous la forme d’un poster imprimé en 1967.
Le parcours est divisé en plusieurs « zones affectives » reflétant notre système émotionnel. Les œuvres d’une dizaine d’artistes, vidéos, installations, sculptures, et tableaux alimentent une réflexion sur l’impact de l’économie capitaliste et des technologies modernes sur la formation de nos émotions, sur leurs représentations et leur portée.
Les émotions obéissent aux mêmes règles que les échanges économiques
Une installation in situ de Lee Kit associe vidéos, peintures sur divers supports issus du quotidien, projection de textes, meubles et autres objets ready-made pour mettre en lumière la façon dont les codes publicitaires et ceux des productions culturelles populaires exploitent nos émotions profondes. La scénographie utilisent la lumière naturelle et l’architecture du lieu dans des jeux de perspective et de composition qui font émerger des sentiments comme la peine, la rage, la crainte et la joie.
Le triptyque vidéo Celebration d’Isabelle Cornaro mêle des images filmées par l’artiste pour ses propres films mais rejetées eu montage et des images issues de films d’animations de Walt Disney. Le montage produit, par la succession rapide et la superposition des images, une confusion entre des objets à dimension purement matérielle ou économique et des entités, animaux et plantes doués de sentiments humains. L’œuvre d’Isabelle Cornaro explore ainsi le pouvoir du geste artistique et de la représentation dans la construction émotionnelle.
L’ensemble des œuvres rejoint les théories de la sociologue Eva Illouz qui a montré dans son livre Les Sentiments du capitalisme, comment dans la société moderne, à l’ère d’Internet et de l’économie numérique, la vie émotionnelle est régie par les mêmes règles que les échanges économiques.