Gyan Panchal
Redevenir soleil
Cette exposition véhicule l’idée qu’une nouvelle situation de vie et de travail, en dehors de la ville, peut permettre à l’artiste d’aller plus loin, au-delà de ce qu’il sait, des acquis et des idées préconçues parfois tenaces. Depuis le développement d’un répertoire de gestes qui ont lentement convergé vers une sculpture abstraite privilégiant un état de surface, l’artiste mesure aujourd’hui le chemin parcouru.
Jusqu’en 2012, les œuvres racontaient à bruit discret leur propre fabrication. La main de l’artiste semblait avoir à peine quitté son ouvrage au moment de l’exposition. La question simple mais fondamentale de savoir comment une sculpture peut tenir debout donnait lieu à des œuvres dont la forme dépendait des qualités intrinsèques des matériaux synthétiques utilisés. Par tâtonnements, il s’agissait de trouver le point où l’œuvre fonctionne pour soi et pour l’espace. Les gestes consistaient parfois à essuyer sur du carton plume des pigments pour montrer le travail de pliage, à poncer un isolant pour révéler une nouvelle surface, dans la tradition d’un art processuel historique à la Barry Le Va.
Si le bricolage est aujourd’hui toujours aussi important, il n’est plus nourri par l’emploi quasi-exclusif de matériaux de construction. Gyan Panchal s’est progressivement écarté d’un contexte très urbain pour adopter la position d’un observateur réservé de la nature, concentré sur ce que le visible recèle de caché. Il ouvre des corps de ruche comme on force une porte qui donnerait sur un espace jusque-là fermé.
Les objets récupérés par Gyan Panchal sont subtilement altérés et jouent, selon ses propres mots, le rôle de «césures et de traits d’union» entre plusieurs règnes. Ils sont à l’image d’un cadre de vie rural qu’il perçoit fractionné, rugueux et générateur de rencontres impossibles. De nouvelles questions affluent. Quel sentiment projette-t-on dans la nature? Comment travailler avec elle sans en faire un roman, un poème ou un mythe que nous nous destinons? Peut-on oublier qu’un paysage peut être vu comme bucolique, idyllique ou sauvage comme un cri sans fin?
L’exposition intitulée «Qui n’est pas tourné vers nous», présentée de septembre à novembre 2014 au centre d’art contemporain de Cajarc a su — l’artiste procédant comme un metteur en scène — poser ces questions sans éluder la délicatesse et la violence qui les accompagnent. Toutes les œuvres de l’exposition de Cajarc annonçaient le désir de Gyan Panchal de se situer face à la nature ou disons plutôt avec l’idée que chacun s’en fait, à travers diverses activités rurales comme l’apiculture, la chasse, l’élevage et, plus démocratiquement, la promenade.
Si les mythes de métamorphoses ne sont jamais loin, ils s’accordent avec une intentionnalité dont Gyan Panchal rêve de se défaire. L’utilisation de l’affût, sorte de tente dont la toile représente de manière hyperréaliste les caractéristiques de la forêt, et dont se sert le chasseur ou le photographe pour voir sans être vu, pourrait être la parfaite métaphore de ce qui semble hanter l’exposition, jusque dans les sous-sol de la galerie, jusque dans une lumière d’outre-monde: une manière de se fondre dans un territoire jusqu’à y disparaître, à travers des formes culturelles qui, perdant de leur netteté, accèdent paradoxalement à l’état naturel.
Gyan Panchal est né en 1973, il vit à Eymoutiers (Limousin).