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Reconstitutions

Séries de photos reconstituant des scènes réalistes de la vie quotidienne : inaugurations, mêlées de rugby, foules, positions pornographiques, etc. Un ensemble de figures imposées, figées pour l’objectif, et qui paraissent artificielles tant elles sont hyperréalistes. S’en dégage une impression déroutante qui n’exclue pas l’humour, bien au contraire !

— Éditeur : Philéas Fogg
— Année : 2003
— Format : 25 x 24,50 cm
— Illustrations : nombreuses, en couleurs et en noir et blanc
— Pages : 95
— Langue : français
— ISBN : 2-914498-13-6
— Prix : 27 €

Lire l’article sur l’exposition de l’artiste à la galerie Loevenbruck (07 nov.-13 déc. 2003)

Le trouble du spectateur
par Quentin Bajac (extrait, p. 89-90)

Face aux images d’Édouard Levé, nous sommes, nous spectateurs, comme les protagonistes de sa série des « Rêves reconstitués » : encouragés à observer quelque chose dont le sens se dérobe toujours davantage et la lecture s’avère déroutante, voire finalement impossible. Car cette première série s’inscrit tout entière sous le signe des troubles du regard et du logos, du décalage entre le video et l’intelligo : listes énigmatiques, inscriptions incompréhensibles, abréviations inexplicables, œuvres ouvertes, hiatus entre le regard et le geste. Dès l’origine nous sommes en présence d’un monde dont l’apparence impénétrable pique notre curiosité.

Au sujet de ses Reconstitutions, Édouard Levé évoque l’inquiétante étrangeté chère à Freud : ce soudain sentiment de première vue à l’égard de choses d’ordinaire familières. Ces images nous parlent mais c’est en effet de manière distante, presque décalée, telles des décalques d’images dont on n’aurait retenu que les lignes essentielles. Si la photographie est bien un arrachement du réel, alors ces mises en scène sont des images doublement arrachées, des empreintes d’empreintes (souvenirs ou clichés) qui doublent l’image de référence. Quel que soit le déclencheur de la reconstitution, immatériel à l’origine (souvenir de rêve, récit de rêve), ou de plus en plus concret au fil des séries (souvenir de photographies puis photographie elle-même), nous sommes bien, visuellement, là, toujours, du « côté spectral des choses ».

Série fondatrice que celle de ces « Rêves reconstitués », qui instaure un principe, celui du dédoublement par la reconstitution d’une image et un mode opératoire déterminant une esthétique : frontalité de la prise de vue, dépouillement de l’espace, utilisation de la couleur, inexpressivité des personnages… Ce dispositif pratique et conceptuel très cohérent donne à l’ensemble des reconstitutions une homogénéité formelle : un même climat onirique, comme le nervalien « épanchement du songe dans la vie réelle ». Identité visuelle forte qui dissimule pourtant la réelle évolution sous-jacente d’une Å“uvre qui doit être lue dans la continuité pour en apprécier la progressive épure. Que l’on confronte le premier rêve reconstitué à la dernière image de la série « Quotidien » : ici l’incarnation d’une vision, là l’idéalisation d’un cliché. C’est en regard de ce vaste chemin parcouru en forme de dématérialisation de plus en plus marquée d’une image de référence, pourtant de plus en plus réelle, qu’il convient d’apprécier l’évolution et les enjeux de ce travail.

(Texte publié avec l’aimable autorisation des éditions Philéas Fogg)

L’artiste
Édouard Levé est né en 1965 à Paris, où il vit et travaille.
L’auteur
Quentin Bajac est conservateur au musée national d’Art moderne à Paris.

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