Présentation
Dominique Berthet
Recherches en Esthétique n°116. L’insolite
Extrait de l’éditorial, par Dominique Berthet (p.5)
Que peut-on qualifier d’insolite? Un événement, une action, une tenue, une apparence, une manière, un aspect, un choix, une chose, un lieu, une présence peuvent être insolites. Il en va de même pour un objet, une œuvre, un lieu de vie, l’atelier d’un artiste. Le mur d’André Breton, accumulation et organisation d’objets et d’œuvres hétéroclites, provenant de cultures, de lieux et d’époques différents, était assurément quelque chose d’insolite, donnant lieu à des étonnements et des surprises renouvelés.
Insolite vient du latin insolitus, participe de solere: avoir coutume de, être habituel, et dont la négation in, désigne son caractère de rupture. L’insolite se définit donc comme ce qui n’est pas d’usage. Est insolite ce qui est contraire aux habitudes, ce qui est inaccoutumé, ce qui échappe à l’ordre des choses et qui, en conséquence, étonne, déconcerte, surprend. L’insolite est ce qui échappe au banal, à l’ordinaire, mais il se distingue aussi du spectaculaire. Ce terme possède une relation avec la notion étudiée dans le précédent numéro de Recherches en Esthétique: l’imprévisible, ou plus précisément avec l’imprévu. Mais l’insolite n’est pas comme on peut le lire dans le Vocabulaire d’esthétique, «simplement l’imprévu qui perturbe le déroulement des actes quotidiens». C’est «l’intrusion dans l’univers banal d’une réalité située sur un plan différent ». Si du point de vue de l’étymologie, l’insolite se distingue de l’étrange et du bizarre, dans les faits, il peut intégrer ces notions. L’étrange est en effet ce qui est contraire aux habitudes, aux usages, différent des apparences ordinaires. Le bizarre quant à lui, signifie étrange, inattendu, il sort lui aussi de ce qui est habituel, de ce qui est commun, avec une dimension plus appuyée, plus surprenante que l’étrange.
Il est abusif par ailleurs de considérer que l’insolite est forcément inquiétant. Certes parfois l’est-il, mais il existe aussi des domaines dans lesquels l’insolite n’a pas ce caractère comme dans l’humour, dans les histoires évoquant une situation cocasse, dans l’esthétique de la vie quotidienne où l’insolite procure alors une note de fantaisie, dans les œuvres picturales où l’insolite peut être obtenu par un effet technique, un mode de construction inhabituel ou encore la présence d’un détail incongru. L’insolite est un écart, une différence, une prise de distance. Il se manifeste toujours sur fond de quelque chose: une norme, une convenance, une convention, une habitude, une coutume, un ordre des choses, un formatage, duquel il se démarque avantageusement. Sa manifestation rend compte d’un positionnement décalé. L’insolite se distingue par son décalage. Il se fait remarquer. Il manifeste une forme d’originalité. Il peut prendre alors différents aspects: nous l’avons dit: l’étrange et le bizarre, mais aussi l’absurde, l’incongru, le monstrueux, le loufoque, le comique, le saugrenu, le ridicule, le grotesque, etc. Il produit aussi des effets: il peut provoquer la surprise, l’étonnement, l’inattendu, l’inquiétude, le trouble. Il peut déconcerter, décontenancer, voire bouleverser. L’insolite peut être discret ou franchement provocateur, dans le second cas il cherche à déstabiliser et transgresser les certitudes, les normes, l’ordre, etc.
SOMMAIRE
— Éditorial (Dominique Berthet)
— L’insolite: une nécessité
— L’insolite dans l’architecture et la photographie
— L’art de l’insolite
— L’insolite des plasticiens
— L’insolite dans l’art de la caraïbe