Paul Pagk
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My red maybe your orange, even
À en croire la plupart des commentaires, l’oeuvre de Paul Pagk relève purement de l’abstraction géométrique — il se situe dans l’héritage du minimalisme américain, pour les amateurs d’étiquettes plus précises.
Cette association n’est guère suffisante. Né en Angleterre en 1962, Pagk n’a que trois ans lorsque son compatriote Richard Wollheim publie le premier article définissant l’art minimal. De 16 à 20 ans, il est installé à Paris, étudie à l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts, mais traverse la Seine aussi souvent que possible pour se rendre au Louvre ou au Centre Pompidou.
Là , il s’enthousiasme autant pour la peinture classique que moderne, et s’expose aussi bien à Ingres qu’à Delacroix, à Picasso qu’à Matisse. Une véritable boulimie. «Je regardais alors tant de peintres, dit-il, qu’il est difficile de tous les mentionner». Il ajoute: «Je ne peux vraiment pas dire ceux qui m’influencèrent le plus». Car ce qui l’intéresse alors, c’est apprendre à peindre. Observer, étudier la surface des tableaux de maîtres — pas leurs cartels.
Le contact avec le minimalisme intervient lorsque Pagk arrive à New York en 1988. «Un choc», qui l’incite à simplifier ses formes: il n’en reste aujourd’hui que des lignes qui se coupent à angle droit (Red Inserttion), des structures géométriques en forme de losanges, trapèzes (4-2-8-3), parallélépipèdes (ESP-the cuban boxer 2) ou pyramidales (3-ways, the Village Green). La réduction est telle que la critique le renvoie aisément à ses prédécesseurs, à Donald Judd, Sol Lewitt ou Dan Flavin le plus souvent.
Mais ce que Pagk en retient est essentiellement leur intérêt pour la philosophie merleau-pontienne. Lui qui voulait être peintre dès l’âge de sept ans, a aussi pratiqué la danse classique, et ce n’est pas un hasard s’il se montre sensible à l’idée selon laquelle le corps et la perception sont constituants de notre expérience au monde. Dans le fond, Pagk n’a pas changé. «Je suis fondamentalement un peintre et la peinture est mon sujet», répète-t-il. Ce qui le passionne, c’est toujours la peinture et le rapport au corps qu’elle établit – pas les étiquettes.
Regardez ses mains. Ses doigts et ses ongles portent les couleurs de ses toiles et trahissent la cuisine à laquelle il se consacre rituellement pour préparer sa peinture — un mélange d’huile et de pigments purs dont il conserve le secret de la recette. Son atelier est aussi loin de ressembler à un laboratoire aseptisé. Le désordre y règne. Si les murs restent presque blancs, les pots, pigments, pinceaux, brosses, chiffons, et couteaux mélangeurs s’accumulent sur la table qui lui sert de palette, enduits de multiples couches de peinture dont l’odeur nous fait sentir qu’elle est encore toute fraîche.
Il suffit que l’oeil s’accommode quelques instants pour s’apercevoir de l’épaisseur de la surface picturale. Plutôt que d’être monochrome et économe, elle rend visible la superposition de nombreuses couches de couleurs qui ne se recouvrent jamais tout à fait (4-2-8-3). Loin d’être lisse, elle laisse apparaître des fragments de peinture coagulée, des marques de coups de pinceau ou des tracés inlassablement repris (ESP) – elle avoue en somme le processus de création et en préserve la mémoire.
Ces subtiles variations de couleurs et de matière jouent avec la lumière et créent des vibrations optiques, qui fluctuent en permanence selon les éclairages. Elles capturent l’oeil du spectateur, qui, s’il veut bien se laisser saisir par leur magie, y laissera son corps tout entier. La perception de l’oeuvre est telle que «plus on la
regarde, plus la peinture s’ouvre et se révèle».
Le trait n’est pas non plus si net qu’il apparaît à première vue. Pagk commence en effet par tracer les lignes de ses structures, puis les entoure, les recouvre de larges plans de couleur, les redécouvre, tour à tour, sans arrêt. La distinction entre ligne et couleur s’estompe, les limites en sont constamment redéfinies. En résulte dès lors une impression de mouvement: le trait frémit, et peu à peu la rigueur géométrique du tableau vacille alors que les structures oscillent de manière indéterminée entre l’avant et l’arrière du plan de la toile, projetées en avant ou inversement englouties par la couleur.
En suspens, ces structures ne sont pas pour autant évanescentes. L’artiste saisit leur matérialité en les accrochant toutes au bord de la toile, comme s’il voulait les ancrer de façon sûre dans le monde physique du spectateur, leur offrant dès lors la possibilité de s’étendre librement au-delà du tableau. Même ce corps jaune étrangement boursouflé, que l’on remarque d’autant qu’il fait ici exception, ne flotte pas. Il n’est pas arrimé au cadre, mais reste irrémédiablement enclavé Entre ciel et terre.
A y regarder de plus près, la peinture de Paul Pagk n’est donc pas si sage et minimale qu’on veut bien le dire. Elle est luxuriante dans ses couleurs, charnelle dans sa consistance (4-2-8-3), indéfinie voire enfantine dans ses traits (ESP) et parfois drôle dans certaines de ces formes au gonflement improbable (Between Heaven and Earth).
Contre les pedigrees théoriques et historiques, l’ambiguïté et la richesse de cette oeuvre nous rappelle qu’il faut se méfier de «ce petit savoir d’association» (Jean-Louis Schefer): un tic aussi sécurisant que le fameux Meetic, qui évite toute relation directe et garantit contre le danger supposé de l’inconnu. Tactile, la peinture de Pagk exige au contraire un contact sensible et sans médiation. La rencontre n’est pas sans risque, l’oeuvre n’étant pas là pour assurer « une compréhension immédiate, mais la possibilité de l’inconnu ». C’est donc à un vrai blind date que la galerie Eric Dupont nous convie.