ART | CRITIQUE

Ready to Shoot: Fernsehgalerie Gerry Schum

PLucile Encrevé
@24 Oct 2004

Présentation de l’ensemble des films réalisés grâce à l’Allemand Gerry Schum pour la télévision à partir de 1967 afin de donner vie à une utopie: la rencontre entre le grand public et l’art le plus contemporain et le plus difficile — Land Art, art conceptuel et Arte povera qui émergent à la fin des années 1960.

Un peu court ? On voudrait qu’une exposition aussi passionnante que celle consacrée, sous le nom de Ready to Shoot, à l’activité de Gerry Schum, qui a porté la réalisation de films et vidéos, essentiels à l’histoire de l’art autour de 1970, et qui a tenté d’utiliser la télévision comme un nouvel espace artistique, soit mieux accueillie à Paris dans le beau lieu temporaire de résidence de l’ARC.

Pourquoi ne laisser qu’un seul mois de visibilité à cette exposition itinérante, organisée par la Kunsthalle de Düsseldorf, qui ne doit gagner sa prochaine étape, la Norwich Gallery, que le 12 janvier 2005 ? Pourquoi ne lui consacrer qu’une moitié de la surface du Couvent des Cordeliers ? Pourquoi accueillir avec elle, dans le même espace, deux interventions, d’Olivier Bardin et de David Robbins, qui ne gagnent rien à être vues à ses côtés ? Pourquoi ne pas avoir traduit le catalogue de l’exposition, un outil de référence pour toute personne s’intéressant à l’art de la seconde moitié du XXe siècle, mais avoir édité un petit fascicule consacré pour moitié à la trentaine d’artistes ayant travaillé avec Schum et pour moitié à Bardin et Robbins ? Je n’ai pas trouvé de réponses.

Il faut tout de même se réjouir que cette exposition ait pu venir jusqu’à nous, après avoir été montrée à Düsseldorf, au Luxembourg et à Porto. Elle présente l’ensemble des projets qui ont vu le jour grâce à Gerry Schum, qui, né à Cologne en 1938, se suicide en mars 1973.
La scénographie de l’exposition suit l’activité de Schum de manière à peu près chronologique. On découvre en entrant, présentés sur deux écrans, les films sur l’art que Schum réalise à partir de 1967 pour la télévision. C’est cet intérêt pour la télévision qui va guider ses projets suivants : il va mettre en effet en place la Galerie télévisuelle (Fernsehgalerie) Gerry Schum, grâce à laquelle il souhaite donner vie à une utopie, celle de la rencontre entre le grand public et l’art le plus contemporain et le plus difficile — Land Art, art conceptuel et Arte povera qui émergent à la fin des années 1960 — au moyen de ce nouveau lieu possible de transmission qu’est la télévision.

L’aventure commence au printemps 1968. Gerry Schum contacte le Sender Freies Berlin (SFB) pour organiser une exposition télévisuelle titrée « Land Art », de 35 minutes, qui sera diffusée sur la première chaîne de la RFA le 15 avril 1969 à 22h40. Elle réunit des films dans et avec la nature de Richard Long, Barry Flanagan, Dennis Oppenheim, Robert Smithson, Marinus Boezem, Jan Dibbets, Walter De Maria et Michael Heizer, précédés d’images prises lors de la première présentation du film dans un studio du SFB le 28 mars 1969.
Ces films sont présentés à l’ARC sur six écrans incrustés dans une première cimaise basse et ondulée, avec, en vis-à-vis, des photographies des tournages. En noir et blanc, rarement en couleur, ces œuvres qui appartiennent à l’histoire du Land Art frappent par la construction de leur espace et le caractère minimal et très épuré des interventions qui y prennent place.
Ainsi, 12 Hours Tide Object with Correction of Perspective de Jan Dibbets, réalisé en février 1969 : un tracteur semble former, en roulant sur le sable d’une plage hollandaise, un cadre rectangulaire à l’intérieur du rectangle de l’écran, image que Dibbets obtient en corrigeant la perspective, comme il l’a déjà fait l’année précédente dans une célèbre série de photographies.

On mesure alors l’incroyable audace de Schum : présenter des œuvres très difficiles — aucune narration, une esthétique austère — appartenant pleinement au High art — à l’opposé à l’époque du Pop art ou aujourd’hui de la culture de l’Entertainment mise en avant par exemple dans le plateau télévisé reconstitué de David Robbins — à un public auquel on ne délivre pas d’explication, qui doit de lui-même apprendre à voir.

En passant derrière la cimaise, on découvre de nombreuses vitrines présentant une abondante et exhaustive documentation issue des archives de Gerry Schum et de son épouse Ursula Wevers. Sont présentées aussi deux interventions télévisées de Keith Arnatt et de Jan Dibbets produites par la Galerie télévisuelle Gerry Schum et diffusées par la Westdeutscher Rundfunk (WDR), station du Land de Nordrhein-Westfalen émettant sur la troisième chaîne.

Dans la même salle sont surtout montrés, sur des socles et au sein d’une seconde cimaise basse et ondulée, les films constituant la deuxième exposition télévisuelle, titrée « Identifications », diffusée le 30 novembre 1970 à 22h50 par le Südwestfunk (SWF) Baden-Baden, qui produit, comme le SFB, des émissions pour la première chaîne de télévision.
Les films, tous en noir et blanc et sans titre, qui durent de 30 secondes à 2 minutes 48, sont signés par vingt artistes, qui y interviennent — on peut noter dans le choix de Schum un accent mis sur l’Arte Povera. Ici encore le caractère minimal et construit des images est frappant. S’y ajoute la très forte présence de la répétition — ainsi une main, dans un film de Richard Serra, qui tente de se saisir d’éléments qui lui sont envoyés régulièrement hors champ ou, dans le film de Reiner Ruthenbeck, l’accumulation progressive sur le sol de feuilles de papier noir froissées puis jetées.

Ces œuvres d’une incroyable beauté demandent de l’attention et de la concentration, dont les spectateurs, Schum en fait à nouveau le pari un peu fou, devront faire preuve. Cette idée passionnante de faire de la télévision un nouveau canal pour l’art ne convainc malheureusement ni le SFB ni le SWF. L’expérience de ces deux expositions télévisuelles ne va donc pas se poursuivre, faute de partenaires.
Gerry Schum décide alors de produire des éditions vidéo : il reprend d’abord certains des films de la seconde exposition puis permet, à partir de 1971, à de nouvelles œuvres de voir le jour — films 16 mm ou bandes vidéo, le plus souvent en noir et blanc, qu’on découvre au dos de la seconde cimaise ondulée. Il les montre dans sa galerie, la Videogalerie schum, ouverte le 8 octobre 1971 au 37 rue Ratinger à Düsseldorf. Les œuvres d’art retournent donc à leur lieu ordinaire et à leur public ordinaire : fin d’une utopie.

PS.L’exposition, qui devait initialement se dérouler jusqu’au 28 novembre 2004, est heureusement prolongée jusqu’au 2 janvier 2005.

Artistes
— Giovanni Anselmo
— Keith Arnatt
— John Baldessari
— Joseph Beuys
— Alighiero Boetti
— Marinus Boezem
— Stanley Brouwn
— Daniel Buren
— Pierpaolo Calzolari
— Walter De Maria
— Jan Dibbets
— Gino de Dominicis
— Ger van Elk
— Barry Flanagan
— Hamish Fulton
— Gilbert & George
— Michael Heizer
— Wolf Knoebel
— Gary Kuehn
— Richard Long
— Mario Merz
— Dennis Oppenheim
— Klaus Rinke
— Ulrich Rückriem
— Reiner Ruthenbeck
— Gerry Schum
— Richard Serra
— Robert Smithson
— Keith Sonnier
— Franz Erhard Walther
— Lawrence Weiner
— Gilberto Zorio

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