Taroop & Glabel
Ravissements (suite)
Tant que les églises ne désempliront pas, comme les files d’attente au guichet de Disneyland, de la française des jeux ou même des foires d’art contemporain, Taroop & Glabel ne lâcheront rien.
Depuis le début des années 90, le collectif opaque — camouflé sous ce logo sibyllin dont l’étymologie se situe entre les sourcils où poussent des poils disgracieux — déboulonne le business des croyances fleuri sur la tombe des utopies. Comportementaliste de la soumission volontaire, anthropologue spécialiste ès lobotomie bénévole, Taroop & Glabel collectent les épiphanies de la bêtise qu’ils combattent à armes égales. Herméneute des mystifications modernes, leur généalogie du commerce de la tranquillité d’esprit les mènent logiquement de Mickey Mouse à Jésus-Christ — qui pactisent par cet impudique baiser, ou encore de la bonne conscience défiscalisée au rachat des péchés en pièces d’or (Le livre des taxes).
Le syncrétisme des religions, du divertissement et du consumérisme, résumé dans cette équation limpide: «Lourdes + Disneyland = Las Vegas», paraît ici déballer, dans un effet de miroir à la surface collante, ses armoiries suspectes, ses fétiches ridicules, ses icônes en vénaline sur contre-plaqué, sa littérature absconse et grivoise, dont la presse quotidienne régionale offre le matériel précieux. Jeunesse a beau se passer, Taroop & Glabel ne respectent rien, ils rient de tout et ce n’est pas du goût de tous.
Aux réactionnaires qui en ce printemps encore leur tapaient sur les doigts, ils auraient pu répondre par une rhétorique empruntée à Alphonse Allais: «Les gendarmes ont grand tort de malmener les criminels. Sans eux, ils n’existeraient pas». Mais Taroop & Glabel ne perdent pas leur temps à revendiquer leurs attentats. Si leur irrévérence fait brailler les pudibonds, c’est que le papier tue-mouche est un piège efficace. D’ailleurs, ils seraient bien mal placé pour faire croire à quelconque portée de l’art, activité plutôt vaine qu’ils pratiquent avec la même application qu’un adepte de scrapbooking. Car ce qui passe pour un coup de pinceau libérateur est ici le résultat d’un patient collage de matière vinyle; encore la preuve qu’on se trompe sur tout, et qu’il ne sert à rien d’y coller son groin, l’art, non plus, ne nous sauvera pas. En attendant, la dérision pratiquée avec si peu de retenue déglingue d’emblée la contre-attaque, tant le rire est déconcertant. Et ce memento mori hilare parvient momentanément à élever l’esprit, soulagé de trop de sérieux.