Proche de la scène artistique néo conceptuelle californienne des années 80, Jim Shaw est un artiste pour le moins atypique. Il a depuis le début de sa carrière le désir de produire une oeuvre plastique visant à explorer le versant obscur de la société américaine consumériste et standardisée. Ses critiques quasi hallucinatoires puisent leur inspiration dans une culture vernaculaire en deçà des catégories établies par l’histoire de l’art: tableaux d’amateurs récupérés dans des brocantes, objets de cultes populaires, BD, musique rock, films de série B, etc. Ces objets s’inscrivent dans un réseau de significations multiples qui ne cessent d’affaiblir l’autorité symbolique de l’Å“uvre d’art et constituent les fragments d’une histoire à la fois personnelle et collective.
La peinture, le dessin, la sculpture, la vidéo, l’installation et la performance sont autant de médiums utilisés par l’artiste depuis la fin des années 1970 au service d’une vision foisonnante et encyclopédique.
Parmi la pile d’œuvres-objets exposées à «Rather fear god» la grande nouveauté est une figurine qui représente Babylone la Grande chevauchant la Bête à sept têtes et dix cornes. Elle est inspirée de posters reprenant des images du tournant du XXe siècle tirées de peintures décadentes du mouvement Art Nouveau.
Cette œuvre renforce la critique anticonsumériste de Jim Shaw dans la mesure où dans le Livre des Révélations, le personnage de Babylone la Grande est étroitement lié au monde matériel, à l’achat et la vente de biens. Cette composante anti-matérialiste qui sous-tend bon nombre de religions, lutte selon l’artiste dans notre culture avec la pure folie débordante de nos inspirations, de notre créativité collective, qui se manifeste dans une surproduction dont les conséquences sont aussi passionnantes que terrifiantes
Dans «Rather fear god» Jim Shaw focalise ainsi son attention sur le paradoxe qui caractérise notre époque qui, d’un côté, poursuit une consommation outrancière et la l’accumulation frénétique des biens, de l’autre, reconnait de plus en plus la répugnance qu’il y a à s’attacher aux choses matérielles. Jim Shaw lui-même reconnait collectionner et entasser toutes sortes de trucs à l’utilité discutable (surtout des images) et à en pointer du doigt l’intolérable futilité.
Les univers de la BD et du surréalisme, notamment sous l’égide de Salvador Dali, inspirent la scénographie de cette exposition. Beaucoup d’onirisme y est présent comme si face à la folie matérialiste et au déclin de la spiritualité, le rêve dans toute son absurdité, frisant parfois la folie, était seul capable de résister – ou du moins de proposer une alternative. Mais ce que l’on y trouve surtout c’est cette extravagance ironique et toujours un peu loufoque, propre à Jim Shaw.