Présentation
Gérard Durozoi
Ras le bol Warhol et Cie !
Est-il encore permis de se demander si Warhol est un artiste aussi important que l’affirme la Doxa (à la fois historique, esthétique commerçante) ? Et s’il était le symptôme ou même l’origine d’un affadissement de l’art et de la culture dont nous connaissons aujourd’hui les conséquences déprimantes : omniprésence de l’image qui duplique le réel, étouffement de l’imaginaire, répétition obstinée de la marchandise, refus de la complexité, circulation accélérée des informations et des notoriétés, confusion entre l’invention et le packaging, fascination pour l’immédiateté, etc ?
La « ruse » de Warhol fut peut-être d’importer la reproductibilité (dont Benjamin avait annoncé qu’elle entraînait la perte de l’aura) dans la production artistique elle-même – invitant dès lors à se satisfaire d’œuvres conçues comme dépourvues d’aura et interchangeables : quand le système de production et de diffusion est au point, il ne peut exister de toile meilleure qu’une autre (tout, déjà , « se vaut) et l’œuvre est sans ratage. S’il est exemplaire du Pop art, c’est parce qu’il a promu l’existence de la marchandise (y compris artistique) au détriment de toute distance critique, et imposé le quantitatif comme valeur ou critère esthétique.
Rauschenberg travaille sur les aspects contradictoires de la vie ; ceux qui se prétendent ses successeurs suppriment toute contradiction et ne récupèrent de « la vie » qu’une imagerie médiatisée : en guise de peinture, on n’a plus affaire qu’à une surface sans matière ni profondeur, qui ne recèle d’autre signification que celle antérieurement décidée par l’univers du commerce. En France, la Figuration narrative cherchait du sens – y compris politique : elle n’a pu résister à l’offensive programmée du Pop américain et à l’emprise du vide qu’elle a instauré.
Contester la domination de tous les Warhol, c’est aussi contester que les Etats-Unis aient exporté la dimension la plus pauvre de leur culture : l’adhésion à un matérialisme borné dont les jouets surdimensionnés d’un Jeff Koons – encore un grand artiste ! – sont la « dernière » version spectaculaire. L’originalité de l’entreprise se mesure à son programme : il s’agit de rendre les gens heureux.