Raphaël Zarka. En milieu continu
L’exposition invite à circuler à travers les fragments collectés d’une sorte de cité perdue à la cosmogonie étrange où se combinent les stigmates en béton d’un monde moderne abandonné, des répliques d’objets scientifiques anciens et des diagrammes numériques cryptés à la géométrie toute cabalistique.
Au sein de ce cabinet de curiosités, à l’état d’esprit proche d’un Borges et à la manière d’un Schwitters, la collection contient différentes oeuvres dont on pressent que les matériaux et supports ont été dûment choisis pour servir la question du ready-made et de la réplique, essentielle au travail de l’artiste.
Ici, la réplique, en contreplaqué bakélisé et marbre de Carrare, d’un instrument expérimental de l’éminent savant du XVIIe siècle Galilée, servant à mesurer la mécanique pendulaire fait écho dans sa forme semi-circulaire à la photographie issue de la série Les Formes du repos d’un anneau monumental en béton, abandonnée en pleine nature, forme analogue aux rampes de skateboard, auquel l’artiste a récemment consacré deux ouvrages anthropo-socio-historiques, lesquels, par une exploration inédite, questionnent la transversalité de l’usage des formes du territoire urbain par la pratique du skate. De Galilée, fondateur de la dynamique au skateur, expérimentateur du mouvement de glisse en milieu urbain, il n’y aurait donc qu’un pas… ou plutôt une courbe.
En chevrons de chantier de pin brut, la reproduction de deux rhombicuboctaèdres siamois (polyèdre semi-régulier ajouré) tient lieu de sculpture géométrique abstraite, reconstruite d’après la photographie d’un brise-lames en béton découvert sur un terrain vague près de Sète ; l’image originelle est issue également de cette même série de photographies de formes minimales, ready-made d’une urbanité décontextualisée, devenus «oeuvres d’art involontaire» sous le regard de l’artiste.
Les trois dessins numériques élaborés à partir de motifs, formes, schémas définissent – en les complexifiant – les contours d’une typologie du langage du travail de Raphaël Zarka. Conçus comme des modèles, des archétypes reliant des données formelles et scientifiques, et les associant selon un principe proche de l’hypertexte, ils récréent de nouvelles extensions avec notamment la contre-forme de l’objet de Galilée ou encore les photographies d’objets scientifiques de l’université de Padoue, tels la Terre magnétique ou ceux de Chladni, physicien allemand dont les travaux acoustiques sur les vibrations d’un archet sur du sable déposé à même des plaques de cuivre avaient dessiné de surprenantes figures géométriques.
De rebondissements formels en répliques analogiques, sous couvert d’une objectivité de rigueur, fantômes d’objets et d’images et mythologies intemporelles, se croisent sur fonds de monochromes gris, dans le « continuum goudron-béton » qui traverse notre environnement. En ludus magister (maître du jeu), Raphaël Zarka distille dans l’exposition une règle du jeu implicite et tenue secrète ayant pour but de reconstruire mentalement un monde potentiellement fictionnel à partir d’une réalité faite de répliques et de ready-made.