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Raphaël Boccanfuso

Raphaël Boccanfuso met en œuvre depuis plusieurs années des protocoles artistiques désuets et obsolètes avec des matériaux triviaux, multiples et de peu de valeur tels que le papier peint ou les adhésifs Vénilia, par lesquels il mène une critique sur l’art traditionnel, la forme tableau, le caractère grotesque du «mur en gloire», les institutions artistiques.

Par Hélène Sirven

Hélène Sirven: Quels sont les moments décisifs de ton parcours artistique?
Raphaël Boccanfuso: Il y a plus de 10 ans j’ai décidé de rompre avec certaines façons d’aborder les choses, j’ai alors passé une année à n’avoir qu’une seule occupation artistique consistant à envoyer du courrier (lettre, dessin, cassette audio …). Ces envois étaient adressés aux gens de pouvoir du «milieu artistique», il y avait bien quelques petits roitelets dans le lot.
Ces textes, images et autres réunissaient les conditions d’exposition car il y avait un récepteur qui tenait lieu de public, même si 99,9 % de mes envois ont du passer à la poubelle. Je poursuis, quand l’occasion s’y prête, cette pratique d’envoi. J’ai présenté récemment à la Galerie François Giroux (promo) une carte postale virtuelle, c’était une forme de «réponse» adressée au commissaire de l’expo.
Cette pratique a trouvé son prolongement en 1995 dans l’achat d’une voiture payé avec l’argent d’une bourse du ministère de la culture, j’ai alors inscrit sur ma BX gti la phrase conventionnelle que l’on est tenu de faire figurer sur la production : «Avec le soutien de la Drac Ile-de-France, ministère de la culture». J’ai roulé six mois avec cette accroche sur les portières.

Quelle part accordes-tu au lieu dans l’élaboration d’une pièce?
C’est très variable. A mon sens, il suffit parfois que quelque chose soit accroché de manière lisible, tout simplement. Dans certain cas c’est un véritable moteur. Je ne m’applique pas systématiquement à réaliser des pièces que l’on pourrait qualifier d’in-situ, mais le lieu d’exposition dans son fonctionnement, plus que par son espace, m’intéresse, oui au Buren des rayures sur les gilets des gardiens de musée.
La partie la plus visible de la pièce que j’ai réalisée salle Michel Journiac pour la Fac d’arts plastiques est un environnement qui adhère au lieu, dans la tradition du décor peint, elle a un programme, celui de définir le lieu d’exposition comme une machine à fabriquer des artistes, une machine à valider, à créer de la reconnaissance, de la matière pour l’histoire. J’ai tenu compte du fait qu’il s’agit de la première expo dans ce lieu pour programmer une véritable inauguration avec buffet et discours, Dominique Noguez a bien voulu s’y coller, il a été enseignant en cinéma et pionnier de cette fac.
Le décor, façon école des beaux-arts du XIXe siècle, a été réalisé au moyen d’adhésif Vénilia faux bois et fausses plaques de marbre gravées aux noms des artistes ayant exposé dans cette salle avant qu’elle ne soit transférée puis refaite. Cet environnement n’est que la partie émergée d’un dispositif, l’essentiel pour moi est la convention que j’ai passée avec la faculté Panthéon Sorbonne et qui sera votée en conseil d’administration.
Cette convention vise à faire adopter de façon définitive le nom de Michel Journiac pour la salle d’exposition et à accepter le don d’une œuvre que je fais à la Fac. Cette œuvre tient la fonction de plaque commémorative et signalétique, il s’agit d’un adhésif désignant la salle d’expo, placé sur une des vitres de l’entrée de cette dernière. Le lieu c’est aussi les décisions prises en coulisses !

Quelle relation souhaites-tu entretenir avec le spectateur?
Il y a plusieurs types de spectateurs variant en fonction du moment et du lieu, par exemple, si je réalise une «action» dans la rue au sein d’une manifestation publique, il y a des spectateurs, ils n’appréhenderont pourtant pas les choses de la même manière que le spectateur qui verra cette même action diffusée en vidéo dans une galerie.
Je pourrais dire qu’une certaine partie des spectateurs est intégrée dans la réalisation de la pièce, un peu à son insu parfois, il devient matériau. Le dispositif mis en place pour l’expo «Inauguration» à la salle Journiac ne peut pas être envisagé sans public. L’inauguration est une réunion publique assez codée et pour laquelle il faut quelques participants, au moins pour partager les pains surprises et applaudir au discours.

Pourrais-tu préciser comment tu prends en compte l’aléatoire dans le processus créatif?
L’aléatoire c’est justement ce que l’autre va y projeter. Ça je suis sûr de ne pas le maîtriser, pour le reste c’est une notion sur laquelle je ne me penche pas trop. Cependant, bien que les pièces soient comme des coups, assez prémédités et organisés ; en fonction d’un principe de réalité qui fait que bien des points évoluent, la pièce se finalise et trouve sa forme au cours de sa réalisation.

On peut voir dans ton travail une dimension sociale et/ou politique…
Comme dans toutes les œuvres, il me semble. Je n’ai pourtant pas d’affection particulière pour les réalisations qui se réclament ouvertement sociales ou politiques. Il y a quelques temps, pas mal d’articles parus dans telle ou telle revue mettaient en avant le coté «hacker» ou «pirate» d’un artiste ou d’un autre, il faut se calmer, les artistes ont bien peu le pouvoir d’influer sur la réalité sociale.

Peut-on dire que tu t’infiltres dans le symbolique lorsque tu utilises la reproduction (cartes postales, papiers peints, etc.)?
Je questionne l’image dans ses différents aspects et concernant la création et l’utilisation des papiers peints, je les considère comme un élément permettant de qualifier un lieu, de fournir des informations quant à l’endroit dans lequel nous nous trouvons. Par exemple pour le centre national de l’estampe et de l’art imprimé à Chatou j’ai fait un papier peint sur lequel on peut voir tous les logos des partenaires d’une exposition particulière, ce revêtement mural est toujours visible car installé depuis plus de cinq ans dans les bureaux du centre.
Ici encore on se retrouve dans les coulisses, disons du côté de la production. Un autre aspect du papier peint est qu’il représente une image de peu de valeur, car multiple. On est bien loin du tableau sur toile, pièce unique. Ce statut de l’image m’intéresse car il y a une perte de valeur, c’est une image sans ambition, dégradée, comme le serait celle figurant sur une boite de chocolat, concernant les cartes postales, elles offrent l’avantage d’une mise en circulation et d’une distribution aisée.

Comment définirais-tu la notion de protocole aujourd’hui et comment nommes-tu tes oeuvres?
Pour le protocole: désuet. Le mur en gloire avec son aspect grotesque ne représente pas des valeurs auxquelles je crois.

Entretien réalisé par Hélène Sirven à l’occasion de l’exposition «Inauguration» de Raphaël Boccanfuso, salle Michel Journiac université panthéon-sorbonne, Paris.

English translation by Marion Ross

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