Julie Aminthe. Du 23 mars au 2 juin 2012, le Frac Limousin présente un florilège de vos œuvres plastiques assemblées sous le titre «Volume 4». Comment est née l’idée de cette exposition?
Rainier Lericolais. Nous en avons eu l’idée avec Yannick Miloux, directeur du Frac Limousin, à la suite de mon exposition à Chamarande (24 oct. 2010.- 27 fév. 2011). Je présentais alors ma première véritable monographie et Yannick Miloux, qui me soutient depuis très longtemps, a souhaité participer financièrement à la coédition du catalogue Volume 1, en prévision d’une monographie au Frac Limousin. Prévision qui vient tout juste de se réaliser…
Depuis qu’il suit mon travail, Yannick Miloux achète régulièrement quelques unes de mes créations afin d’augmenter la collection du Frac qu’il dirige. L’institution en possède aujourd’hui neuf. Nous avons considéré qu’il était temps de montrer l’ensemble de ces œuvres acquises au fil des années, ainsi que quelques nouvelles pièces – l’une d’entre elles ayant été produite à l’école des beaux-arts de Limoges, tout en validant cette idée de catalogue.
A l’intérieur de Volume 1, on trouve le Volume 2, titre du CD musical contenu dans l’ouvrage, ainsi que le Volume 3, qui est le tirage de tête du catalogue.
A l’occasion de la présentation de mon travail au Frac limousin, j’ai créé un petit fanzine qui s’appelle Volume 4, d’où le titre de l’exposition…
Votre démarche plastique, en raison de la diversité de vos créations (sculptures en carton, photographies d’écrans de télévision qui s’éteignent, tentatives de moulages d’eau etc.), peut paraître hétéroclite. Quel est le lien implicite qui unit toutes vos œuvres?
Rainier Lericolais. Il y en a deux pour moi. Le premier, qui est très important, c’est le dessin. Tout ce que je fabrique, en effet, c’est toujours du dessin. Même mes premières pièces, achetées par Yannick Miloux, comme les pianos en carton, je les ai pensé en tant que dessins. Je prenais de grandes plaques de carton, je dessinais, et je les montais en volume. Cette idée de dessin m’intéresse d’ailleurs encore aujourd’hui, bien que je «vrille » de temps en temps, notamment lors de ma dernière exposition à la galerie Frank Elbaz, en 2009, où je me suis rapproché un petit peu plus de la peinture.
Le deuxième fil conducteur, essentiel à mes yeux, c’est la musique. Elle fait partie intégrante de mon quotidien bien que je ne sois pas musicien de formation. Je fais beaucoup de concerts et je travaille avec des gens aux univers parfois très différents, que ce soient des artistes totalement «underground» ou des artistes plus «visibles» comme Stéphane Eicher.
Au Frac Limousin, il y a donc un petit lieu consacré à mes archives sonores. Mais je ne suis pas quelqu’un qui fait ce qu’on appelle des «pièces sonores». Ce qui m’intéresse, c’est vraiment de faire des concerts. De nombreux documents existent – des images de mes concerts entre autres, et Yannick Miloux et moi-même avons eu envie de les faire partager au public.
Dans l’exposition, je présente aussi une nouvelle vidéo, intitulée Cinéréflectographie n° 5, à l’intérieur de laquelle, bien sûr, il y a de la musique.
Dans votre travail, l’empreinte est également omniprésente. Je pense notamment – mais pas seulement, aux fameuses empreintes de vinyles nommées Phantomes. C’est comme si votre intérêt se portait davantage sur le souvenir des choses que sur les choses elles-mêmes…
Rainier Lericolais. Ma démarche sur ce point peut paraître nostalgique, c’est vrai. Je m’intéresse à des supports qui sont aujourd’hui obsolètes, comme le vinyle ou la cassette. Néanmoins, ces supports sont encore utilisés par ceux qui continuent à défendre une micro-économie. C’est pourquoi ils représentent, presque paradoxalement, les supports les plus «hype» du moment. Tous les jeunes musiciens utilisent à présent les cassettes, et cela me fait doucement sourire… Qu’ils s’aperçoivent que le CD ne tient pas dans le temps, bien qu’il soit de meilleure qualité.
Quand à la question de savoir pourquoi je fais des empruntes, c’est en grande partie lié à mon travail sur le polystyrène. En attaquant ce matériau avec des solvants inclus dans la peinture, le polystyrène fond et l’emprunte, qui devrait être complètement plate, redevient du volume. C’est donc à travers ce genre d’expérimentations que je trouve la juste méthode me permettant de faire à la fois de la peinture et du dessin.
Je suis, de plus, très sensible aux rayogrammes de Man Ray ainsi qu’aux pièces d’Etienne Jules Marey. Ils ont tous les deux travaillé les empruntes, et leur démarche artistique a un vrai impact sur moi. D’autant que j’aime l’idée de tenter, avec mes propres moyens, de matérialiser ce qui n’est pas toujours visible à l’œil nu.
Le concept de volume, qui renvoie aussi bien à l’espace qu’à la musique, est donc au cœur de votre démarche.
Rainier Lericolais. Bien sûr. Le titre de l’exposition en est la preuve. Il fait référence aux nombreuses compilations que j’achetais lorsque j’étais plus jeune, mais aussi à la culture du «Do it yourself».
Le fanzine que j’ai créé pour l’exposition au Frac Limousin, Volume 4, rend d’ailleurs hommage à cette culture à laquelle je reste très attaché. D’autant que le «Do it yourself» n’est pas mort, bien qu’il reste encore et toujours «underground».
La musique expérimentale n’intéresse qu’un petit nombre de personnes – une quinzaine peut-être, il ne faut pas se leurrer! Martha Argerich ne passera jamais sur MTV, c’est comme ça. Je devrais peut-être parler un peu plus de Britney Spears… Mais, non, je préfère m’intéresser à Martha Argerich, on ne se refait pas. C’est à travers la musique expérimentale que je me retrouve.
On dit de vous que vous aimez brouiller la frontière entre art et artisanat. Qu’en dites-vous?
Rainier Lericolais. L’artisanat, je le comprends comme du « Do it yourself ». Dans ce cas-là , je suis effectivement un très bon artisan. Tout ce que je produis, je le fais en partant d’une idée qui me semble juste, et je l’adapte selon les moyens qui sont à ma disposition, gros ou petits.
En quoi vos deux «casquettes», celle du plasticien et celle du musicien électroacoustique, se complètent et se répondent?
Rainier Lericolais. Pour être franc, je mets pas mal de distance entre ces deux «casquettes». On m’a par exemple souvent demandé de faire un concert lors de mes vernissages, mais j’évite de le faire. Il y a selon moi le lieu du concert et le lieu de l’exposition, et ces deux lieux sont différents. Les séparer me paraît donc important.
De plus, voir des concerts à Beaubourg ne me fascine pas. L’acoustique est mauvaise car le lieu n’a pas été prévu pour recevoir des musiciens. C’est un vrai problème d’architecture face auquel on ne peut rien. Dans la salle de concert Gaveau, à Paris, aucune exposition n’a jamais été présentée, et cela paraît couler de source. Pourquoi alors devrions-nous faire de la musique dans les salles d’exposition?
Dit autrement, j’aime bien le meilleur: la meilleure acoustique lorsque je fais un concert, et le meilleur lieu – qui a une vraie histoire – lorsque je montre mes créations plastiques.
Et avec le Frac Limousin, je suis servi!
Cependant, il est clair que ma musique influence mon travail plastique et vice-versa. Mais pas forcément à l’endroit attendu. Quand je fais de la musique, je la fais avec des ordinateurs. De ce fait, je joue à l’oreille et je regarde la musique. Elle devient visuelle. Regarder une onde sonore est magique à mes yeux, et ce n’est pas du tout quelque chose d’abstrait. A partir de ce dessin que je regarde – de cette onde sonore, et non à partir du son, le processus de travail commence. C’est donc bel et bien le dessin qui m’intéresse, que ce soit musicalement ou plastiquement parlant.
Je suis également très friand d’édition. Lorsque je fais une exposition, c’est important que la musique soit présente sous cette forme-là . Au Frac Limousin, j’ai réalisé une cassette, produite par l’institution. J’aime l’idée que le public puisse partir avec un petit bout d’exposition à écouter chez lui. Mais il ne s’agit pas de la bande-son de l’exposition. L‘œuvre musicale est liée à l’œuvre plastique tout en appartenant à une sphère complètement différente.
Vous souhaitez que le spectateur garde une emprunte musicale de l’exposition, en somme.
Rainier Lericolais. L’idée de mémoire joue un rôle important, en effet. En travaillant sur des bandes magnétiques, et avec des ordinateurs, la mémoire ne cesse d’être évoquée et mise à l’œuvre.
Je m’intéresse aussi beaucoup aux photographies de la fin du XXIe siècle qui s’interrogent sur ce concept de mémoire. C’est l’époque du spiritisme et des trucages gros comme le nez au milieu de la figure. Il n’empêche que les images restent très belles, très parlantes. Elles semblent nous dire que le contemporain est toujours lié à la mémoire de celui qui le regarde. Je trouve cela très juste.
Même chose dans les films de Chris Marker, dont j’admire le travail. Quand on regarde Sans soleil, il s’agit d’un montage d’images préexistantes assemblées d’après la propre mémoire de Chris Marker. C’est une vraie source d’inspiration pour moi. Moi qui tente continuellement de faire apparaître de nouvelles images, tout en ne négligeant pas ma propre mémoire, susceptible d’amener de la singularité et de l’inédit au sein même de mon travail.
ART | INTERVIEW
Rainier Lericolais
Julie Aminthe
05 Avr 2012
A l’occasion de son exposition personnelle au Frac Limousin, Rainier Lericolais présente plusieurs facettes de son œuvre plastique. Dessins, photographies, sculptures, vidéos... Cette monographie donne aussi à entendre quelques archives sonores. C’est que Rainier Lericolais dessine ses œuvres plastiques comme il dessine sa musique: avec justesse et ingéniosité.