Un programme réalisé par Charles Sandison permet à un ordinateur de projeter des mots sur des éléments d’architecture. Dans la pénombre de la galerie, des mots luminescents se promènent tels des électrons libres sur les murs et créent entre eux des relations de nature diverse. Ils se frôlent, se heurtent, ou se chevauchent, rendant leur déchiffrement provisoirement impossible. Quittant leur fonction signifiante, ils deviennent les particules d’une surface qu’ils animent de leur mobilité constante. Des essaims se constituent, s’allongent et s’étirent, et d’éphémères silhouettes humaines émergent que la course aléatoire des mots détruit presque simultanément.
À la manière d’un organisme vivant, les mots s’agrègent en des structures complexes, dont ils se désolidarisent par la suite pour se reproduire, reconstituant un organisme nouveau d’un fragment détaché de l’ancien. L’artiste donne à ses mots une « vie artificielle » simulant le comportement de la nature et des humains: Ils naissent, meurent et se reproduisent sous nos yeux.
Stupid, Ugly, Weak… : tout un vocabulaire se bouscule, créateur de discorde et d’affrontement. À la manière d’une armée se déployant stratégiquement, un même mot se démultiplie pour occuper plus d’espace et assurer sa suprématie sur les autres. Une nuée de « stupid » s’abat sur un petit groupe de « ugly » et le dissout. Des rapports de forces se dessinent, métaphore biologique de volonté de puissance ou d’instinct de survie.
La pièce intitulée Rage Love Despair nous conduit à l’idée de vie et de mort, condition de tout organisme vivant. Les signifiants « life » apparaissent en blanc sur fond noir. Immobiles et solitaires, ils se contentent de clignoter. Des groupes de mots bleu, rouge et magenta viennent les encercler. Leur tremblement maladif, leur capacité à proliférer et à se démultiplier semblent menaçants. En rouge, couleur traditionnellement assignée à l’idée de danger, on lit « hate, cruelty, rage, suspicion… ». En violet, couleur de la passion, apparaissent les mots « pain, cold, fear, despair… » ; et en bleu, un registre à consonances plus tendres, sorte de moyen terme comme « hope », « pity », ou « trust ».
Ces mots s’agglutinent autour des « life » qui parfois se font dévorer. Porteurs de sens, ils sont les acteurs de petits drames visuels auxquels le spectateur participe, suivant l’évolution de cette maladie où virus et parasites s’attaquent aux unités de vie.
Le fait de recourir aux mots sans jamais les organiser en une syntaxe préserve la fluidité de la signification de l’œuvre. Jouant avec des unités de sens à la relation sans cesse changeante, l’artiste nous laisse en appréhender librement les événements. On peut être attentif au jeu des espacements entre les mots, et interpréter la façon dont ils se regroupent ou s’évitent de façon diverse, en les assimilant à des comportements biologiques, mais aussi sociaux.
S’ébauche en effet aussi dans ces travaux, de manière subtile, la question du rapport à l’autre. Ces liens entre les mots peuvent se lire comme des expériences de l’altérité, des rencontres vécues sur un mode conflictuel ou constructif, et l’emploi même du langage suggère ce questionnement d’ordre social. On insistera aussi sur le plaisir esthétique que procurent ces mots se déplaçant gracieusement dans l’espace à la façon d’oiseaux ou d’abeilles, évoquant aussi la formation de nuages ou de nébuleuses.
— Stupid, Ugly, Weak…, 2003. Programme data projeté sur un mur. Dimensions variables.
— Rage Love Despair, 2003. Programme data projeté sur un mur. Dimensions variables.