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Radiotemporaire

Née de rencontres, d’échanges et de discussions, radio temporaire est une initiative interactive autour de l’activisme social. Ce livre, résultat d’une année de réflexion, aborde des problématiques contemporaines (télévision, urbanisme, féminisme) via des conférences, des débats d’idées et des entretiens.

— Éditeur(s) : Magasin, Grenoble
— Année : 2002
— Format : 21 x 17 cm
— Illustrations : aucune
— Page(s) : 440
— Langue(s) : français, anglais, allemand
— ISBN : 2-906732-74-5
— Prix : 20 €

Avant-propos
par Zeigam Azizov, Sylvie Desroches, Dean Inkster, Adrian Laubscher, Alejandra Riera, Caecilia Tripp

Dès lors que nous nous sommes trouvés réunis à une même table, nous avons tenu à le rester. Par la volonté de savoir et de partager. Nous avons alors travaillé à produire entre nous une situation pédagogique par le biais de lectures collectives. Ces lectures nous ont permis de poser un certain nombre de questions sur notre époque — sur son présent, son avenir — sans pour autant de programme prédéfini, sans rechercher de pleine maîtrise. Chacun d’entre nous (six artistes, curateurs et écrivains) a pu exprimer ses souhaits, ses inquiétudes, chaque fois dans le respect — qui n’a pas été sans rencontrer certaines difficultés toujours surmontées par une ténacité commune — des multiples directions choisies, en acceptant les divergences aussi bien qu’en prenant acte des points de rencontres. Ceci s’est déroulé tout au long de l’année 1999 dans un va-et-vient permanent entre deux lieux distincts : la salle accueillant l’École d’études curatoriales du Magasin (Centre national d’Art contemporain de Grenoble, cours Berriat), et la salle à manger d’un des logements de Villeneuve (un quartier de Grenoble), cité construite dans les années 1970, source, à l’époque, de questions sur la communauté, l’habitation et la notion de partage contenue dans ces deux termes. Nous étions donc ensemble à l’aube de l’an 2000, et de ce fait avons effectivement croisé l’idée de « fin de monde », non portés par les fantasmes apocalyptiques qui accompagnent traditionnellement la fin d’un millénaire, mais par la pensée d’un monde qui, aujourd’hui, parvient à sa fin, un monde qui nous rappelle chaque jour ses limites, qui sont celles de la multitude des mondes dont il représente le partage, le partage comme une fin et ainsi un partage sans fin. Peut-être, au fond, la question tacite posée à travers nos échanges aura-t-elle été de savoir comment répondre à (et répondre de) cette responsabilité du partage, en tentant, ce faisant, d’examiner le legs de cette même responsabilité.

Le point de départ de nos lectures a été ce que l’on a coutume d’appeler les Études Culturelles (Cultural Studies) et plus particulièrement le travail de Stuart Hall, l’un des fondateurs du Center for Contemporary Cultural Studies à l’université de Birmingham dans les années 1950. Encore peu connues dans le monde francophone, les Études Culturelles, comme en témoigne le travail de Hall, ne sont ni discipline méthodologique, ni recherche particulière, ni même corpus de textes. Il s’agit davantage d’une pratique « sans garantie » qui, résolument, s’attache à la dimension politique de l’ensemble des pratiques sociales et culturelles, par une réflexion reprenant à son compte les multiples antagonismes qui leur sont inhérents; mais plus particulièrement aux voix, positions et expériences qui ont été exclues des formations intellectuelles et politiques dominantes. Les Études Culturelles représentent ainsi l’effort constant d’une lutte avec « les anges de la pensée »; toujours à la recherche et dans l’attente de possibilités historiques à même de transformer la réalité vécue et ses relations de pouvoir. Cela dit, notre intérêt pour ces études pourrait se résumer en deux mots, pour reprendre Lawrence Grossberg qui suggérait que leur but était de répondre à la question posée par Marvin Gaye : « Whats goin’ on ? ».

Dans l’attente de cette publication, notre projet a existé pendant toute l’année 2000 sous la seule forme d’un recueil de photocopies. Et une bonne part des échanges qui l’ont précédé est passée par le photocopieur dont Stuart Hall remarquait que lorsque le Centre for Contemporary Cultural Studies avait été fondé, la seule chose qu’ils avaient véritablement réussi à faire c’était de le mettre à la disposition des étudiants. Au pire, nous aurons donc été quelques amateurs flaubertiens de la connaissance à l’ère de la reproductibilité mécanique, mais dans ce « Potlatch » au format A4, nous aurons néanmoins exprimé le souhait de « disparaître dans la lumière » de nos trouvailles.

Cela dit, au commencement, il n’y eut pas seulement un passage au photocopieur, mais bien plutôt à travers le dialogue : dans le vif de l’oralité, ensemble ou séparément, d’un dialogue comme trace et cartographie, d’un territoire à l’autre. Expérience d’une mise en commun de l’écoute qui est le commencement de l’expérience de la radio. Dans la mesure où il ne s’offre que bien rarement la chance et la douleur d’un dialogue véritable, nous tenons à remercier celles et ceux de nos interlocuteurs qui ont généreusement prêté leur voix au temps de l’échange doublé de celui des enregistrements qui auront permis à cette publication d’être à la fois trace et prolongation.

Dans « The World With Itself », un texte issu d’un séminaire tenu à Londres, Stuart Hall parle du temps de retard de la radio; allusion au moment où elle cède la place à l’hégémonie de la communication télévisuelle. Mais il note que ce retard lui aura néanmoins permis de donner leur place, par la suite, à d’autres formes de communication, en particulier celles de groupes et de populations jusqu’alors occultés par les médias dominants. De ce point de vue, notre projet « radiophonique » s’est transformé en publication « avec un temps de retard » : le nôtre. Autrement dit, celui qui a surgi des liens tissés entre nous, des difficultés que ce tissage a entraîné : celles liées notamment au désir de faire la place à des traductions françaises inédites, à la nécessité d’un temps plus long pour le faire, reculant — indéfiniment — la clôture de cette publication qui devenait finalement elle-même, un projet sans fin.

On nous a souvent demandé la raison de notre renoncement à l’émission radiophonique. Peut-être est-ce à cause de ce même retard. Ou encore parce que la responsabilité devant ce monde, devant son héritage au commencement d’un nouveau millénaire, nous a conduit à reposer la question de la transmission : si on reconnaît, aujourd’hui, que le partage du savoir comme le sens de l’action ne peuvent plus s’ordonner comme une mission, ce ne peut être nier pour autant le sens de l’action — comment comprendre autrement celle menée dernièrement par des millions de personnes à Seattle, à Prague et encore à Gênes. Il s’agit peut-être encore finalement d’une question profondément benjaminienne, à savoir : comment hériter de ce qui n’a pas été transmis. Nous aurons, dans ce cas, conçu la radio comme support d’« un savoir » qui interroge la façon de s’exposer et de se projeter dans le monde contemporain, en préservant la liberté du retrait, tout en restant lisible.

C’est donc par écrit que nous vous rendons un travail qui aura pourtant d’abord été celui de l’écoute, en espérant que vous saisirez le relais de cette démarche qui n’en est qu’à son commencement.

Nous ne remercierons jamais assez pour leur travail les producteurs et productrices (peu ou pas connu(e)s en France), interlocuteurs et interlocutrices, traducteurs et traductrices, relecteurs et relectrices…

(Texte publié avec l’aimable autorisation des éditions du Magasin)

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