Montrer l’écrivain, mais autrement que par l’image, le portrait. Tel est le motif du premier volet de l’exposition «Raconte», pendant de la revue J’aime beaucoup ce que vous faites…, associant arts plastiques et littérature.
«Fin des années 20. L’une des rares photographies connues de Maurice Blanchot» : de ladite «photographie» — Blind image #10 de Joao Louro — ne subsiste qu’un élément textuel, la légende. A l’image, censée représenter l’écrivain Maurice Blanchot, s’est en effet substituée une surface monochrome de couleur rouge, le rendant invisible.
Image «aveugle», fantôme, d’un écrivain tenu au secret, au silence — un silence de mort —, qui prônait l’effacement du moi devant le langage et, pendant toute sa vie, mit un point d’honneur à ne jamais se laisser photographier, ou le moins possible, considérant que son écriture suffisait à le donner à voir. Nul besoin d’un portrait, d’une image de soi. Le texte avant toute chose, et sur tout. Si l’image détient une indéniable dimension narrative, l’image de celui qui écrit en dit-elle davantage que cela même qui est écrit et publié, donc donné à lire ?
La photographie de Pascal Poulain, issue d’une série d’instantanés pris dans l’espace urbain, montre une femme en train d’écrire au beau milieu d’un passage piéton, révélant ainsi la dimension publique de l’écriture, et élargissant la définition commune de l’écrivain qui peut être connu, ou non, comme le suggère le titre de l’œuvre, Unknown. Le terme «écrivain» désigne alors, dans une plus large acception, celui ou celle qui a recours à l’écriture.
Si ici l’acte d’écrire — qui répond vraisemblablement à une urgence au vu du caractère particulièrement inapproprié de ses conditions — est public, le contenu demeure secret et n’est pas révélé, ne serait-ce que par la photographie. «Unknown» renvoie donc aussi bien à celui qui écrit qu’à ce qui est écrit. La page demeure blanche et lettre morte. C’est bien le process qui prime alors, et cette idée que la notion d’écrivain ne repose pas uniquement sur la publication mais sur la publicité de l’écriture.
L’œuvre de Nicolas Delprat reprend cette idée de publicité de l’écriture sous un autre angle. L’écrivain est ici anonyme, caché même. N’en reste que la trace écrite, à même le mur, tel un tag au sein de l’espace public. Ecrite au moyen de lettres dépareillées à la manière d’un courrier anonyme, la phrase «The Sleeper must Awake» (le dormeur doit se réveiller) évoque la double fonction de la littérature, de la narration: faire sombrer dans le sommeil et le songe, et éveiller les consciences…
Littérature et politique ont toujours été étroitement liées. Pour meilleure et triste preuve, l’autodafé, si cher aux régimes fascistes. Dans une vidéo s’inscrivant dans la série des «Kicks Readings», l’artiste autrichien Rainer Ganahl évoque, sur un autre mode, l’idée de destruction de l’objet livre. Pendant 7 minutes, un livre — Die Angst des Tormanns beim Elfmeter (L’Angoisse du gardien de but au moment du penalty, 1970) —, d’abord montré à la caméra pour identification, se fait balader sur le macadam par un pied vengeur, lui même filmé par son propriétaire.
L’auteur de ce roman, l’Autrichien Peter Handke, s’était dernièrement fait retirer le prestigieux prix littéraire Heinrich Heine par le conseil de la ville de Düsseldorf pour avoir manifesté sa sympathie envers la Serbie et Slobodan Milosevic lors des funérailles du dictateur serbe, accusé de crimes contre l’humanité par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie. Déjà , lors de leur parution en 1996, ses récits de voyage avaient déclenché la polémique, présentant les Serbes comme victimes de la guerre civile. Ainsi, Rainer Ganahl interroge la réception d’une œuvre littéraire, soumise aux convictions politiques de chacun.
Non plus sur le mode politique mais bien poétique, Michael Batalla propose un portrait de Samuel Beckett un peu particulier. La sérigraphie — Portrait, 2001, 100 x 100cm — qui, à plus d’un mètre, s’apparente encore à une œuvre graphique, voire, avec davantage de recul, monochrome, se compose d’un nombre incalculable de jours. Depuis la date de naissance de l’auteur de En attendant Godot, l’artiste a précisément comptabilisé puis écrit tous les jours de sa vie. Tous les jours, du lundi au dimanche, jusqu’au dernier. Une vie, des années, des jours. Pas en chiffres, non. En toutes lettres.
La mort de l’écrivain. Toute une histoire. Depuis des années, l’artiste Unglee publie dans des revues d’art ses «disparitions», articles nécrologiques fictifs. Ainsi se positionne-t-il à la fois en tant qu’artiste, écrivain et personnage puisqu’il se met lui même «en scène» dans ces vraies-fausses nécrologies d’un nouveau genre, l’autofiction, pendant moderne de l’autobiographie.
Voilà tout ce à quoi ressemble l’écrivain, connu, inconnu, public ou anonyme. Un seul fil rouge: l’écriture. Rendez-vous prochainement au deuxième chapitre, «Raconte #2», consacré cette fois aux «Figures de la narration»…
A voir également :
www.revuejbcqvf.com
Pascal Poulain
— Unknown, 2000. 60 X 90 cm. Photographie contrecollée sur Dibond.
Joao Louro
— Blind image #106, 2006. Huile sur toile sous plexiglas. 81 x 100 cm.
Nicolas Delprat
— The Sleeper Must Awake, 2006. Acrylique et glycéro. Dimensions variables.
Rainer Ganahl
— Die Angst des Tormanns beim Elfmeter / The Goalie’s Anxiety at the Penalty Kick, 2006. Dvd / 7 mn.
Unglee
— Nécrologie, 2006. Tirage papier. Dimensions variables.
Michael Batalla
— Sans titre (portrait de Samuel Beckett), 2001. Sérigraphie époxy sur aluminium laqué. 100 x 100 cm.