Gyan Panchal
Qui n’est pas tourné vers nous
La sculpture minimale de Gyan Panchal offre à des matériaux standardisés et objets, le plus souvent dit «pauvres» (polystyrène, laine de verre, contenants divers), la possibilité d’une existence sublimée. Avec une certaine espièglerie, il appréhende des formes usuelles, apprivoise leur banalité et en déplace l’usage ordinaire à l’aide de gestes négligés, comme plier, découper, briser ou frotter. Les objets qui servent ici d’amorces à son travail de sculpture renvoient aux activités liées à un environnement rural: élevage, apiculture, chasse…
Ancrés dans le réel, mais défaits de leur fonctionnalité, une longue gouttière coudée, une bassine en plastique blanc évidée, une hausse de ruche usagée s’abstraient et pointent un répertoire de formes basiques: une ligne, un cercle, un rectangle.
Toutefois, les seuls repères formels ne suffisent pas à circonscrire l’univers de l’artiste. Ses sculptures, partiellement recouvertes de matières organiques (sel, betterave, herbes, etc.), induisent des frottements entre l’archaïque et le contemporain. Elles évoquent des équilibres fragiles et tendus par le jeu subtil des couleurs parfois délavées, lessivées, mais toujours immensément lumineuses.
Gyan Panchal tente des transition, révèle des filiations abstraites, crée des passages, des regroupements et, ce faisant, propulse dans le champ des possibles un point de vue altéré sur les choses. Sa vision de la sculpture trouve une finalité dans l’espace d’exposition: il expérimente des relations entre les pièces, crée des familles hétéroclites, vérifie les écarts, les articulations et les distances.
Pour lui, la précision d’une couleur, la radicalité d’une découpe, le vide entre les pièces, le temps nécessaire pour aller de l’une à l’autre, décident de la présence immanente des œuvres. Elles assument une fonction transitionnelle et relient le visiteur à l’idée d’une nature «Qui n’est pas tournée vers nous», qui ne nous est pas adressée, qui existe sans nous. Sa sculpture explore cet entre-deux homme-nature. Elle témoigne d’une précarité excessive. La nature résiste au regard de l’homme qui ne peut plus se penser au centre du monde quand il concourt largement à le détruire.
Aussi, lorsque le temps nous est donné de percevoir les choses au-delà des images, il arrive que nous lui fassions face…dans le rouge vif déposé au fond d’une gouttière ou dans l’ample parfum d’une fine pellicule de propolis.
Commissariat: Martine Michard