ART | EXPO

Questions d’images (visages de sable)

07 Sep - 20 Jan 2013
Vernissage le 06 Sep 2012

Les œuvres, pour l’essentiel photographiques, de l’exposition «Questions d’images (visages de sable)» proviennent de la collection du Frac Languedoc-Roussillon à l’occasion de ses «30 ans». Plus qu’une démonstration ou un rassemblement critique sur l’image enregistrée, il s’agit d’une «rêverie» sur la présence — ou l’absence — de figures humaines dans les œuvres contemporaines.

Mathieu K. Abonnenc, Cristian Alexa, Julien Audebert, Renaud Auguste-Dormeuil, Delphine Balley, Christian Boltanski, Jean-Marc Bustamante, Marcel Broodthaers, Jeanne Dunning, General Idea, Geert Goiris, Graham Gussin, Noritoshi Hirakawa, Annika Von Hausswolff, Suzanne Lafont, Louise Lawler, Serge Leblon, Natacha Lesueur, Urs Lüthi, Fiorenza Menini, Joachim Mogarra, Jonathan Monk, Jean-Luc Moulène, Marylène Negro, Negro/Scherübel, Florence Paradeis, Lucien Pelen, Man Ray, Sam Samore, August Sander, The Atlas Group, Patrick Tosani, Andy Warhol, Isabelle Waternaux, Erwin Wurm
Questions d’images (visages de sable)

Selon Roland Barthes, la photographie a pris en charge la question de la «mort» dans le monde moderne. En lieu et place des monuments, qui remplissaient une fonction de commémoration dans les sociétés religieuses, la photographie serait devenue le lieu de l’inscription de la «mort plate»: «Car la Mort, dans une société, il faut bien qu’elle soit quelque part; si elle n’est plus (ou est moins) dans le religieux, elle doit être ailleurs. Contemporaine du recul des rites, la photographie correspondrait peut-être à l’intrusion, dans notre société moderne, d’une Mort asymbolique, hors religion, hors rituel, sorte de plongée brusque dans la Mort littérale» (Roland Barthes, La Chambre claire, Note sur la photographie, 1980)

Le parcours de «Questions d’images (visages de sable)» commence donc avec une œuvre d’August Sander (Konfirmandin, Westerwald 1911), qui illustre l’ouvrage de Barthes. Une femme sans âge vêtue de noire, être «qui a été», offre par sa retenue triste comme une allégorie moderne de la Mort, et l’idée moderne de la photographie.

L’immobilisme de la pose et la «fétichisation» du papier argentique ont servi l’ambition de saisir le réel, de le fixer. Comment les artistes contemporains s’y prennent-ils pour sortir de ce carcan, pour échapper à la détermination des outils d’enregistrement? La photographie est-elle vouée à l’immobilité ou ouverte à d’autres usages possibles?

C’est en intervenant au niveau des deux «limites» — la «pose initiale» et le «papier final» —, que nombre d’artistes font échapper l’image photographique à sa règlementation première, et l’ouvrent à des histoires complexes, la relancent vers des territoires multiples, la proposent à l’appréhension de regardeurs prospectifs, la faisant passer de la «rétention» à de nouvelles «protensions» (Barthes).

On imaginera donc que les artistes contemporains ont mis un «grain de sable» dans le «simple de déclic». L’exposition permettra examiner comment, à de la triade «sujet-déclic-tirage», un équilibre permanent est à l’œuvre.

Tantôt l’importance est accordée à la «pose» ou à la préparation du sujet (allant parfois jusqu’à sa dénaturation); tantôt est privilégiée une forme de «tirage» résolument dégagée du souci de témoigner d’une vérité du visible, d’épingler des figures chargées du poids de l’Etre…

Les sujets
— A l’opposé de la passivité et de l’immobilité des poses classiques, le sujet est souvent actif, en situation d’«anti-pose» provoquant le regard du spectateur (Negro/Scherübel, Menini, Wurm), voire accomplissant un acte indécent (Moulène, Hirakawa «suggérant l’accomplissement d’un coït dans un parc). La répétition des points de vue sur un même sujet à des moments différents équivaut aussi à contester «la» pose d’une personnalité saisie à un moment unique de son existence.
— Contrairement à l’identité affirmée dans la photographie classique, le sujet est souvent rendu anonyme: saisi partiellement, en gros plan, par une seule partie du corps valant comme signe métonymique de l’humanité (Leblon, Tosani); ou placé au sein d’une collectivité dans laquelle l’individualité subjective est fondue dans la communauté (Samore). Un artiste se photographiant lui-même peut aussi se «masquer» (Gussin, Broodthaers), afin de suggérer une Figure ou une Idée, ou parodier des représentations codées par l’histoire de l’art (Lüthi en jeune romantique mélancolique).
Hors de l’autoportrait, le sujet s’inscrire dans une pure fiction, par exemple dans une variation sur la séduction (Lesueur et ses quatre visages de femmes) ou dans une monstruosité politique (General Idea et son jeune homme à la moustache hitlérienne).
— La mise en question de l’identité du sujet conduit à ne plus le représenter directement, à le remplacer par un objet qui en tien lieu — le masque humain devient masque tout court (Warhol, Negro) —, ou à signaler son activité (visiteur d’exposition avec Lawler, ou passant dans une rue d’un film célèbre avec Audebert, ou enfant studieux d’une ancienne école avec Bustamante, etc.).
— Cette «présence-absence» du sujet de la photographie aboutit cependant à deux cas extrêmes: Mathieu Abonnenc fait disparaître les corps de victimes de lynchages dans des clichés américains des années 30 ; Renaud Auguste-Dormeuil Quant aux grandes images de ciels étoilés au-dessus de villes du XXe siècle qui ont subi des bombardements, et réalisées par Renaud Auguste-Dormeuil au moyen d’un programme informatique d’astronomie, elles ne figurent rien d’autre que ce que des êtres ont pu voir dans la nuit, sans que l’on sache quoi que ce soit de leurs destinées individuelles.

Les tirages
— L’unicité du tirage classique qui conservait un peu du réel enregistré (comme une chape la relique d’un saint), les artistes ont opposé la sérialité, la répétition des tirages qui serviront à comprendre le monde davantage que pour en contempler l’Essence.
— Certains tirages visent la dispersion de l’image dans l’espace d’exposition, et sa diffusion dans le monde réel. Le Saut à la corde de Lucien Pelen est mis en forme par le collage au mur de pauvres photocopies noir et blanc qui recomposent l’image globale (simulacre de pixellisation pauvre, bricolée), tandis que les images imprimées de Moulène sont présentées en tas, au sol, disponibles à l’appropriation des visiteurs qui les feront circuler hors du musée.
— Les tirages peuvent à l’inverse simuler l’artifice des tableaux et des peintures: images mises sous-verre et encadrées (Balley), ou tirées sur toile et tendues sur châssis (General Idea, Hirakawa, Lüthi), ou contrecollés sur aluminium ou plexiglas.
— Enfin, certaines photographies sont présentées dans des «installations» qui ouvrent l’image à son altérité foncière, le réel (Menini, Monk, Broisat). Il ne s’agit pas pour les artistes de «compenser» un déficit de véracité de l’image, mais de la faire jouer avec d’autres formes de représentation. Dans le cas de Benoit Broisat il s’agit de voir comment l’œuvre est un dispositif qui peut mettre en relation immédiate la réalité et ses images, hors de la «médiatisation» qui est la règle constante de notre société.

Le parcours de «Questions d’images (visages de sable)» se termine par une œuvre vidéo: I Only Wish That I Could Weep (J’aurais seulement voulu pleurer), 2001, de The Atlas Group (Walid Raad) où le soleil couchant est capté en plusieurs séquences identiques par une banale caméra de surveillance, pendant la guerre du Liban, sur la corniche de Beyrouth Ouest.

Ainsi, l’exposition propose-t-elle un long effacement des figures humaines. Non pour dire ou suggérer la mort, leur mort, mais pour rendre compte de l’indéniable vitalité des êtres qui peuplent le monde, interrogeant toujours les multiples manières de l’habiter et de le traverser.

Vernissage
Jeudi 06 septembre à 18h30

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