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Quelle Vie, une toute petite partie du monde

PPierre-Évariste Douaire
@12 Jan 2008

La vie dans les villages de la Somme: entre le reportage, la nature morte en peinture et la démarche personnelle. Sans souci de saisir la trace du réel, ni celui de le relever avec précision. Des images sans préméditation ni hasard.

Éric Larrayadieu présente conjointement un accrochage et un livre. Le tout est le fruit de plusieurs semaines passées dans des villages de la Somme en 2002.

Entre reportage et démarche personnelle, la série Quelle Vie rend compte de la vie de village, autant qu’elle s’en démarque. Le choix des cadrages, les zones d’ombres, les flous écartent autant qu’ils attirent l’attention. Les sujets photographiés sont laissés de côté au profit de la captation d’une atmosphère, d’un moment particulier.
Tout est donné, mais tout reste à démêler. Il faut s’approcher pour appréhender la globalité de la scène. Il faut glisser d’un personnage à l’autre, d’un objet à l’autre, pour comprendre ce qui est en jeu et ce qui a été mis en scène.

Cette attention est nécessaire, mais se fait naturellement et sans effort. Il ne faut pas décrypter l’image, mais s’y laisser prendre, s’y perdre, pour tenter d’y lire une histoire somme toute quotidienne, mais aussi exceptionnelle, voire universelle. Ces moments n’ont rien de particulier, mais ils appartiennent à notre culture commune.
L’intimité du regard est renforcée par un accrochage qui privilégie, et c’est assez rare pour le noter, un format volontairement petit (23 x 18 cm). Les photos sont très espacées, le spectateur n’a d’autre choix que de se confronter nez à nez avec les clichés. C’est cette relation intime qui déclenche un rapport particulier, presque affectif avec ces moments de vie.

Un travail à mi-chemin entre la photo de reportage et la nature morte en peinture? Pourtant le résultat ne se réduit pas à ces deux modèles. Éric Larrayadieu, laisse son objectif se balader au gré des événements d’une petite bourgade. Il n’a pas le souci de saisir la trace du réel, ni celui de le relever avec précision. Son attention est flottante, non préméditée, même s’il aboutit à des formes personnelles reconaissables, qui n?ont rien à voir avec le hasard.

Ses réflexes ne sont pas des automatismes, ils ne tombent jamais dans le travers du procédé. Il privilégie le coin de table au reste de la fête, il fait de la partie un tout. Il laisse traîner des fils que l’on peut dérouler pour essayer d’avoir une vue plus complète : cette trame est autant imaginaire que narrative. L’image est d’abord vaporeuse, fuyante, puis elle se laisse rapidement comprendre. Un petit bouquet de muguet sur la table d’un banquet cache derrière lui une fête communale pour le troisième âge. Des rideaux cachent autant qu’ils laissent entrevoir, comme à travers le trou d’une serrure, la piste d’un stade d’athlétisme. Ce n’est pas un jeu de cache-cache, il n’y a pas de malice, mais juste le souci de présenter un monde où le spectateur peut apporter une voix au récit qui se construit devant lui.

Les moments de vie sont plus évoqués que croqués. Il n’y a pas d’anecdotes, pas plus qu’il y a de tranches de vie, seulement des instants de vie qui répondent à un temps passé. La vie est du côté des enfants et des jeunes couples qui sont la continuité de cette ruralité lointaine et présente à la fois.
La désertification est rendue par des façades délabrées, par des enseignes qui perdent leurs lettres. Les histoires sont à construire, à imaginer, à traduire, à compléter.

Le titre Quelle Vie, une toute petite partie du monde indique le mode de lecture à adopter, et la démarche du photographe. Cadrer le réel, c’est en même temps exclure tout le reste.
À l’opposé d’un constat sociologique, à l’inverse d’un simple document photographique, Quelle Vie est une série de proximité qui tient son sujet à distance pour mieux s’en intéresser, pour mieux le capturer dans un instant qui est par nature intraduisible et évanescent. 

Éric Larrayadieu :
— Quelle vie, 2002. Série de photos. 23 x 18 cm.

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