— Éditeur : Paris Musées, Paris
— Année : 2002
— Format : 40 x 28 cm
— Illustrations : quelques, en noir et blanc
— Pages : non paginé
— Langue : français
— ISBN : 2-87900-734-8
— Prix : 10 €
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Quel meilleur endroit ?
par Cédric Aurelle
L’art contemporain s’est depuis longtemps affranchi des prérogatives des musées d’art moderne quant à l’enregistrement et la validation de ses pratiques et de ses Å“uvres. Dans un mouvement centrifuge, ces dernières se sont infiltrées dans de nombreux lieux lui étant a priori étrangers et ont cherché à atteindre toutes les strates de la société. Ce phénomène a pu en retour susciter l’intérêt d’acteurs économiques ou politiques étrangers au monde de l’art contemporain voyant dans celui-ci un outil dont tirer un profit significatif. Aussi, la question de l’exposition de l’art contemporain dans certains lieux publics, peut désormais éveiller une suspicion chez son visiteur et requérir de sa part une vigilance certaine : Pourquoi cette exposition ? Pourquoi dans ce lieu ?
Partant de cette considération, l’exposition « Quel meilleur endroit ? » a été conçue en relation directe avec les spécificités de la Maison de Balzac, maison d’écrivain et musée littéraire. C’est — pour employer une expression a priori destinée à la qualification des Å“uvres — une exposition in situ: une interrogation sur le site même de son apparition, sur son « lieu d’être ». Pour mener à bien ce projet, un certain nombre d’artistes a été invité à effectuer des interventions à même de souligner certaines des caractéristiques de ce lieu. Des Å“uvres existantes ont de plus été « réactivées » et adaptées à ce contexte nouveau.
Le processus de « réactivation » de Untitled (1989-1990), Å“uvre de Felix Gonzalez-Torres, est révélateur des enjeux associés à la remise en contexte d’Å“uvres existantes, notamment dans un lieu codifié comme la Maison de Balzac. Cette Å“uvre est composée de deux piles d’affiches blanches sur chacune desquelles est écrite une phrase, Somewhere better than this place, pour la première, Nowhere better than this place, pour la seconde, à chaque nouvelle présentation, les affiches font l’objet d’un retirage. Conformément aux vÅ“ux de l’artiste, aujourd’hui décédé, il revient aux organisateurs de l’exposition de choisir, dans une certaine limite, leurs dimensions et leur nombre afin d’adapter l’Å“uvre à son nouveau lieu de présentation. Cette proposition de Felix Gonzalez-Torres témoigne ici de sa volonté de rejet du projet moderniste de l’Å“uvre autonome et totalisante, passant d’un cube blanc à un autre sans subir de modification conceptuelle, encore moins physique. Pour lui, l’Å“uvre s’inscrit dans un contexte donné et en intègre, au moins symboliquement, les paramètres culturels, sociaux, historiques… Elle est mise en relation avec son environnement; c’est également un espace de dialogue entre l’artiste et le visiteur. Les grandes affiches blanches, que ce dernier peut emporter, sont des espaces dans lesquels il peut faire ses propres projections.
La sollicitation de l’imaginaire du visiteur revêt une valeur programmatique pour notre exposition. Quel meilleur endroit ? n’est pas une question théorique dont l’exposition constitue l’outil discursif visant à en faire émerger la réponse. C’est une question posée au visiteur : sur le lieu qu’il visite, sur la visite elle-même, et non, comme d’aucuns pourraient s’y attendre sur Balzac ou La Comédie humaine. L’insertion d’Å“uvres contemporaines dans ce lieu contribue à éloigner le visiteur des objectifs habituellement reconnus de la visite, Balzac et son Å“uvre, et l’incite à considérer le temps de la visite d’un lieu donné comme moment privilégié pour l’exercice de son imaginaire.
Dans le contexte culturel contemporain qui soutient les pratiques nomades et a-géographiques, dont Internet est le véhicule emblématique, il peut être tentant de voir un caractère nostalgique dans cet attachement à un lieu tangible, et plus particulièrement un lieu de mémoire. Ce serait ne pas tenir compte du fait que le visiteur est, lui aussi, un nomade qui vient, lesté d’une identité et d’une culture propres, à partir desquelles il donnera du lieu une interprétation particulière. Dans une logique barthésienne de La Mort de l’auteur, il revient au visiteur de reconstruire l’Å“uvre (ou le lieu en l’occurrence) à partir d’éléments personnels. Et « la « mort » de l’auteur exige donc la « naissance » du lecteur. » [Nancy Spector, Felix Gonzales-Torres, cat. exp. ARC — Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, Paris : Paris Musées, 1996, p. 11]
Dans cette exposition, sont présentées des Å“uvres d’artistes aux univers très différents les uns des autres, et dont les propositions peuvent parfois être perçues comme contradictoires, voire conflictuelles. Néanmoins, toutes permettent au visiteur d’arrêter d’une manière ou d’une autre son attention sur un ou plusieurs aspects du lieu. De l’intérieur de la maison, interprété comme une architecture intérieure de la pensée, mais aussi comme un espace habité, vers l’extérieur, en l’occurrence le jardin et la cour, reflets du monde, lieu du déplacement de soi vers l’ailleurs, nous proposons au visiteur une, exploration du lieu le temps de la visite et une mise en abyme de soi dans celui-ci.
(Texte publié avec l’aimable autorisation de Cédric Aurelle et des éditions Paris Musées)
L’auteur
Cédric Aurelle est commissaire de l’exposition « Quel meilleur endroit ? » au Musée de Balzac (11 décembre 2002-16 mars 2003).