ÉCHOS
01 Jan 2002

Quel avenir pour les écoles supérieures d’art du Ministère de la Culture

Note rédigée par Jacques Sauvageot, président de l’ANDEA (Association nationale des directeurs d’écoles supérieures d’art) à partir de différentes de textes de l’ANDEA et de la CNEEA (Coordination nationale des enseignants des écoles d’art)

58 écoles supérieures d’art dispensent un enseignement supérieur sous la tutelle du ministère de la culture. Une dizaine de ces établissements sont nationaux (financés par l’état), les autres étant des écoles territoriales financées principalement par les villes (ou les communautés de villes).

Toutes ces écoles préparent aux mêmes diplômes : le DNAP (diplôme national d’arts plastiques) au bout de trois ans, le DNSEP (diplôme national supérieur d’expression plastique) au terme de cinq années d’études.

Toutes ces écoles forment des artistes, des créateurs, dans tous les domaines des arts plastiques. Elles forment des artistes connus, qui contribuent au rayonnement et à la vitalité de la vie artistique français sur tout le territoire et à l’étranger.

L’originalité de ces écoles, c’est la formation par la création. Les enseignants des écoles d’art sont d’abord des artistes, et les étudiants au cours de leurs études apprennent à développer des projets artistiques personnels dans quelque domaine que ce soit.

Ces écoles dispensent, de fait, un enseignement supérieur : les étudiants sont recrutés après le baccalauréat, souvent même après une ou deux années préparatoires ; les études associent à la fois des éléments théoriques et une pratique artistique.
Mais jusqu’à présent, dépendant du ministère de la culture, ces enseignements n’étaient pas considérés « officiellement » comme enseignements supérieurs. Les diplômes sont reconnus professionnellement ; mais, pour le code de l’éducation, il s’agit d’enseignements spécialisés et non pas d’enseignements supérieurs.

Conscient du problème et sous la pression des enseignants des écoles nationales – en majorité des artistes installés à Paris et connaissant bien les couloirs du ministère -, la délégation aux arts plastiques a modifié en 2002 le statut des enseignants des écoles nationales (en le rapprochant du statut des assistants de l’Université) et le statut des établissements (devenu établissements publics).

La DAP s’était engagée à ce que la situation évolue parallèlement dans les autres écoles, la perspective d’un renforcement de la participation du ministère de la culture au fonctionnement des écoles étant même évoquée.

Aujourd’hui, en 2009, les dossiers semblent être restés en l’état, ou, s’ils ont évolué, c’est plutôt dans un sens inquiétant.

1 – Organisation des enseignements- Pédagogie

À un moment où l’on affirme la nécessité de donner une visibilité, un souffle, à la création artistique française, la place et le rôle des écoles d’art aurait pu être l’occasion d’un réexamen, d’une relance.

Il n’en a rien été.
D’une part, parce que, lorsqu’on parle en France d’« enseignement de l’art », c’est la plupart du temps pour parler de l’enseignement de l’histoire de l’art dans les collèges et les lycées. D’autre part, parce que l’art contemporain est aujourd’hui considéré principalement sous l’angle de l’action culturelle.
Enfin, parce que le ministère de la culture, au lieu de prendre des décisions qui auraient pu provoquer des réactions, a préféré attendre la mise en place du conseil des arts plastiques pour l’enseignement supérieur, la recherche et l’emploi pour, éventuellement, aborder les problèmes.

Les écoles d’art continuent donc à travailler sur la base de missions non définies ou mal définies. Dispensent-elles des enseignements professionnels ou professionnalisant? dans quelle discipline? et  dans des cycles d’enseignements dont les intitulés n’ont pas été revus depuis maintenant 35 ans.

Les enseignements sont toujours validés par des unités de valeur, un arrêté provisoire, renouvelé périodiquement, permettant d’attribuer les crédits européens.

Les écoles sont appelées à définir des projets mais sans savoir qui décidera et en fonction de quels critères.

2 – Mise en place des instances nationales d’organisation des enseignements

Le décret portant création du conseil des arts plastiques pour l’enseignement supérieur, la recherche et l’emploi, n’a toujours pas été publié alors qu’il avait été annoncé comme imminent aux assises de Rennes en 2006.

Ce conseil devait mettre en place de nouvelles instances permettant la mise en conformité du dispositif de l’enseignement supérieur des arts plastiques avec les modalités d’organisation et d’évaluation qui caractérisent l’enseignement supérieur.

Le conseil des arts plastiques pour l’enseignement supérieur, la recherche et l’emploi serait une instance consultative, consulté sur la politique des enseignements supérieurs en art plastique. Ce conseil devrait réunir des membres de droit (représentants des différents ministères et collectivités territoriales), des personnalités qualifiées, des représentants élus des écoles (directeurs, enseignants, étudiants) et des représentants des organismes professionnels.

Ce conseil devait créer une commission permanente des enseignements supérieurs en arts plastiques, obligatoirement consultée sur l’habilitation des établissements, les propositions de modification du régime des études…

Le conseil devait également créer une commission de la recherche en arts plastiques et une commission professionnelle consultative.

3 –  Statut des enseignants

Les professeurs des écoles nationales ont un statut particulier, revu en 2002. Ce statut comporte un nouvel échelonnement indiciaire rendant la carrière des enseignants des écoles nationales plus intéressante par un meilleur déroulement de carrière ; il stipule par ailleurs que les enseignants de ces écoles font de la recherche, et précise la durée des enseignements.

Les enseignants des écoles territoriales restent pour leur part toujours inscrits dans le cadre de la filière culturelle de la fonction publique territoriale : carrière moins intéressante, missions et horaires de travail non précisés (« ils délivrent un enseignement dans les écoles d’art »)

Depuis des années, la coordination nationale des enseignants mène une bataille pour obtenir l’alignement des enseignants des écoles territoriales sur les écoles nationales.

Le ministère de la culture, après avoir pendant un certain temps inquiété les collectivités territoriales en leur avançant les surcoûts estimés d’une telle mesure, a admis avoir surestimé les incidences d’une telle mesure, notamment dans l’immédiat.

Un projet de refonte du statut des enseignants territoriaux a été accepté par le conseil supérieur de la fonction publique territoriale : les enseignants seraient intégrés dans le corps des directeurs d’établissements artistiques.
Mais il ne s’agit pour le moment que d’une base de travail, qui ne fait pas forcément l’unanimité des différents partenaires, et pour lequel aucun pilotage n’existe réellement.
Les enseignants des écoles territoriales vivent très difficilement cette situation, ayant l’impression d’être considérés comme des enseignants de second niveau alors qu’ils délivrent les mêmes enseignements et les mêmes diplômes que leurs collègues des écoles nationales.

4- Statut des établissements

En septembre 2007, la DAP avait envoyé une note à l’intention des DRAC abordant la question du statut des établissements. S’appuyant sur la déclaration de Bologne qui instaure une méthode de comparabilité des cursus d’enseignement, la note présentait la validation des diplômes à un grade européen et l’autonomie de l’établissement accordant le diplôme comme deux « démarches incontournables ».

Selon la note de la DAP, le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche est seul habilité à valider la délivrance des diplômes par chaque établissement. L’exigence minimum requise est celle de l’autonomie de l’établissement qui délivre un cursus et les diplômes associés.
Mais l’impasse a été faite sur l’ensemble du dispositif qui doit contribuer à la reconnaissance des écoles : elle n’évoque ni la création et la mise en place des nouvelles instances prévues par le ministère de la culture, ni l’organisation nouvelle des enseignements. Elle fait apparaître la question du statut des établissements comme « la » question à résoudre.

Depuis cette date, un projet de circulaire de la DAP au DRAC concernant l’enseignement supérieur culture en région est en circulation et précise les volontés du ministère.
Certes, il s’agit d’un projet, mais tout laisse à penser que le texte définitif, dont la sortie est annoncée comme imminente, ne comportera pas de modifications essentielles.

Par rapport à la note de 2007, ce texte est encore moins politique et plus administratif.

L’objectif est « de parvenir à la meilleure solution administrative et juridique permettant la réalisation d’économie d’échelle et un fonctionnement rationalisé ».
Pour que les établissements aient la capacité de délivrer des diplômes, des critères sont sans doute présentés comme nécessaires : une taille critique des établissements (de 250 à 600 étudiants), un adossement à la recherche « avec des projets de collaboration impliquant des universités ou des organismes de recherche », l’inscription dans des programmes européens.Les nouveaux établissements devraient reposer sur « une diversification des responsabilités et des financements associés » : d’où la nécessité de mobiliser les régions, les entreprises…

Le ministère pour sa part ne prend pas d’engagement, il signera des conventions en fonction des projets !!

La question de la spécificité des enseignements supérieurs artistiques n’est toujours pas évoquée.

Sous couvert de la nécessité de l’autonomie pédagogique et administrative permettant au directeur de délivrer les diplômes et de la nécessité de procéder à des regroupements d’écoles, le ministère propose un bouleversement des modes de gestion des écoles, la disparition de leur personnalité : la création d’un établissement multi site « hors sol » est-elle la solution qui assure la meilleure autonomie pédagogique, la réorganisation d’économie, un fonctionnement rationalisé.


5- Reconnaissance des diplômes

L’AERES (l’agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur) vient de rendre son avis sur la possibilité d’attribution de grade de master aux titulaires du DNSEP. L’agence avait été saisie par une demande conjointe de la DAP du ministère de la culture et de la Direction Générale du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Après avoir noté « qu’il existe une certaine distance entre les exigences habituellement requises pour le grade de master et les différents éléments de la formation menant au DNSEP », l’AERES « donne un avis positif sous conditions à la reconnaissance du grade de master pour les titulaires du DNSEP ».

[Les conditions portent notamment sur la progressivité des enseignements, leur niveau de qualification (doctorants ou artistes internationalement reconnus) et les évaluations des enseignements doivent se faire « en vertu des principes d’objectivité et de transparence », avec des modalités de contrôle et de rattrapage.]

Le mémoire de fin d’études doit être validé par un enseignant titulaire d’un doctorat et doit être rédigé selon un plan raisonné et utiliser une bibliographie respectant les normes requises pour les travaux de recherche universitaire.

Cette « évaluation » est plus que préoccupante : les conditions posées remettent en cause les fondements d’un enseignement à la création artistique.
L’esprit général est celui de la normalisation, que l’on retrouve dans toutes les évaluations de l’AERES : une normalisation qui ne prend en compte ni l’esprit, ni la pratique des domaines artistiques. Ni l’art, ni l’enseignement de l’art ne vivent à partir d’un fractionnement de disciplines et de pratiques, d’un cloisonnement entre théorie et pratique du respect des normes ; les avancées ne se font pas par paliers bien définis ou par rattrapage semestriel…

L’évaluation de l’AERES hypothèque l’ensemble des pratiques pédagogiques et remet en question l’idée même que l’on peut se faire de l’art.

L’inquiétude dans les écoles est d’autant plus grande que le rapport se conclut en affirmant que la transformation du statut juridique des écoles sera l’occasion pour effectuer les évolutions nécessaires et école par école procéder à l’évaluation de l’état du processus et des conditions remplies pour décider de l’attribution du grade de master.

Le ministère évoquait le renforcement du réseau des écoles d’art. Ce n’est pas ce que les écoles ont l’impression de vivre : elles se sentent menacées à la fois dans leur existence et dans leur essence.   

Contact CNEEA : Cécile Marie    contact@cneea.fr
Contact ANDEA :  Jacques Sauvageot     jsauvageot@ville-rennes.fr
            

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