L’espace de la «salle haute» de la Maison Rouge est vide. Sur les murs sont inscrits quatorze triangles rouges qui se développent en étoile, jusqu’au plafond, en continuant, au passage sur les balustrades qui se dressent dans la pièce avoisinante, en se prolongeant en filigrane — par des lignes rouges qui les délimitent — sur les murs de la «salle basse».
Felice Varini poursuit sa démarche d’exploration de l’architecture par une intervention de type picturale, démarche entreprise depuis son installation à Paris, en 1978. Le dispositif est simple et d’une très forte intensité : c’est à partir de l’analyse du lieu, de son architecture, de ses particularités (matériaux, histoire, fonction) que l’artiste élabore son projet d’intervention.
À partir d’un point de vue qu’il fixe, à la hauteur de ses yeux (162 cm), il crée une intervention picturale, de couleur rouge, de formes géométriques qui se distribuent sur les différents plans de l’espace. La forme est perçue cohérente à partir d’un point de vue — celui à partir duquel elle a été élaborée —, mais vue d’ailleurs, la forme se disloque et se développe en une infinité de configurations en fonction de la multiplicité des points de vue à partir desquels elle peut être perceptible.
Il est donc question de perspective, d’anamorphose, d’illusion optique, de point de vue, de trompe-l’œil, comme chez Georges Rousse, mais aussi, et peut être avant tout, de peinture.
L’acte pictural se développe, ici, sur un support qui n’a pas la virginité de la toile, mais au contraire, qui possède la surdétermination d’un lieu, d’un espace architecturé. Le support est donc tridimensionnel.
Et l’acte pictural, qui, au temps d’Alberti et de De Pictura de 1435, cherchait à installer sur une surface plane un quadrilatère conçu comme une fenêtre ouverte sur l’histoire, qui cherchait donc, sur une surface plane à créer l’illusion de la tridimensionnalité, est pris, dans l’œuvre de Felice Varini, comme à rebrousse-poil : le support est tridimensionnel — c’est l’espace réel — et l’intervention picturale, qui développe une figure géométrique sur les différents plans, n’est perceptible dans sa cohérence qu’à partir d’un point de vue et qu’à la condition que l’œil accepte d’annihiler la troisième dimension pour percevoir, de façon illusoire, la figure sur un seul plan fictif.
C’est ainsi que, situé dans l’angle droit de la «salle haute», on peut percevoir les quatorze triangles qui dressent leur pointe au plafond — vers le ciel —, à travers un jeu de continuité picturale qui se substitue à la discontinuité de l’architecture. Notre regard «aplanit» la profondeur de l’espace réel, au profit de l’illusion du plan offerte par le pouvoir de la figure et le pouvoir de la peinture.
Le dispositif pictural de Felice Varini ne figure pas le lieu, il le transfigure tout en le révélant et en le réactualisant.. «Je pars d’une situation réelle, déclare-t-il, pour construire ma peinture. Cette réalité n’est jamais altérée, effacée ou modifiée, elle m’intéresse dans toute sa complexité. Ma pratique est de travailler “ici et maintenant”».
Face à l’espace vide de l’exposition, au vide exposé et encadré par le rayonnement des quatorze triangles rouges peints à même l’architecture et capable de créer un écran illusoire, résonnent les mots de Mallarmé : «Rien n’aura eu lieu que le lieu excepté peut-être une constellation».
Felice Varini
— 8 cercles excentriques n°1, mai 1998. Peinture sur mur. Dimensions variables.
— Une Saison Suisse, 2007. Musée des beaux-arts d’Arras.