Buren initiant ses recherches vers 1964, Giacometti disparaissant en janvier 1966, la comparaison Giacometti-Buren reposait sur une coïncidence temporelle plus que formelle, aux filiations pour le moins ténues, même négativement. Il s’agissait d’asseoir la position de Buren comme précurseur de l’art contemporain, quitte à faire de Giacometti le tenant du vieux monde finissant. Le Musée d’art moderne de la ville de Paris propose le même discours depuis longtemps: une série de tableaux rayés de Buren regardant l’une des esquisses de La Danse de Matisse.
Outre la prégnance de Daniel Buren sur la scène artistique française, ces accrochages dénotent surtout une conception historique de l’art qui méconnaît son fondement puissant, à savoir que l’art, précisément, qu’il soit ancien, préhistorique ou moderne, est toujours contemporain de celui qui le regarde. Il y a les œuvres qui sont contemporaines, et celles qui prétendent à la contemporanéité; les «hauts-reliefs situés» de Buren appartiennent à cette seconde catégorie.
Plus qu’une métamorphose ou une variation, elles sont, si l’on veut, une série. Le principe en est homothétique: en éclatant dans l’espace, des carrés colorés de deux mètres de côté produisent de nouvelles formes et, partant, un nouvel espace. Plutôt qu’«éclatement», dont le terme fait référence au principe des Cabanes éclatées que Buren a réalisé à partir de 1975, il conviendrait de parler de «division» puisque les formes qui en dérivent, triangulaires et circulaires, le sont sans «éclat» justement, mais avec une sécheresse toute mathématique, une application géométrique.
Il ne s’agit plus ici de toiles mais de volumes pleins, de caissons, que Buren apparente aux hauts-reliefs de la sculpture, et qui prolongent en quelque sorte les recherches des Cabanes. Ces nouvelles déconstructions cependant, ne visent plus à mettre en rapport — à situer — une œuvre dans des espaces architecturés, mais à faire advenir des œuvres elles-mêmes une architecture, ou à tout le moins une construction autonome. L’œuvre, en se déconstruisant, construit son propre espace en relief.
Le problème que pose ces œuvres tient à leur situation. Dans l’espace public, au Palais royal à Paris ou Place des Terreaux à Lyon, par exemple, les créations de Buren entendent interagir avec l’espace architectural environnant. C’est de l’espace préexistant que naît l’œuvre dans lequel il la situe. Or ici, l’auteur rappelle que son œuvre est «située» parce que, précisément, elle ne l’est plus. Elle apparaît en effet comme une simple déclinaison des œuvres situées, aussi lisse, mêmement reconnaissable, procédant des mêmes conceptions, mais détachable de son lieu et de la série qui l’environnent, pièce unique et autonome, sous-produit à usage privé des productions à usage public.
Cette déclinaison contredit le système esthétique dans lequel elle s’inscrit, elle renonce à sa situation tout en conservant sa visibilité: les hauts-reliefs «font» monument tant par leurs dimensions que par le miroitement de leurs surfaces satinées, par leur «puissant vortex chromatique», ainsi que l’écrit, pour cette exposition, Marie-Cécile Burnichon.
Ce n’est pas là le moindre des paradoxes de l’œuvre de Daniel Buren qui entend déconstruire l’œuvre d’art et vendre sa déconstruction au prix de l’art, comme ces philosophes que critiquait déjà Cicéron et qui vont «jusqu’à signer les ouvrages même qu’ils écrivent sur le mépris de la gloire». De ce système, Buren a fait un ordre, un ordre qui passera, bien vite, pour d’ancien régime.
— Daniel Buren, Photo-souvenir, vue de l’exposition «Quand les carrés font des cercles et des triangles: hauts-reliefs situés». 2010, Kamel Mennour, Paris
— Daniel Buren, Photo-souvenir: 1 carré = 1 cercle + 4 triangles, 2010. Hauts-reliefs situés H. Aluminium, dibond orange, peinture et vinyle noir (6 éléments). 200 x 200 cm avant découpes