Daniel Buren
Quand les Carrés font des Cercles et des Triangles: Hauts-reliefs situés. 2010
Intitulée «Quand les Carrés font des Cercles et des Triangles: Hauts-reliefs situés. 2010», la troisième exposition personnelle de Daniel Buren à la galerie Kamel Mennour annonce un programme placé sous le signe de la métamorphose et d’une combinatoire à la fois géométrique et colorée.
Les trois nouveaux ensembles présentés sont basés sur le principe de l’éclatement d’une forme carrée qui génère par ce biais d’autres formes élémentaires. Une fois installées aux murs, ces dernières restituent le quadrilatère initial mais développé dans l’espace. Ainsi, selon des jeux d’homothétie fréquemment employés par l’artiste, ces carrés en position fermée mesurent 2 mètres de côté; lorsqu’ils sont ouverts, ils peuvent s’étendre au-delà de cinq mètres, incorporant la surface du mur qui les accueille.
Amorcés depuis quatre ans environ, ces travaux semblent se situer entre des oeuvres précédentes réalisées à la fin des années soixante (1968 et 1969 puis 1975) et les Cabanes éclatées conçues à partir de 1975. Le premier ensemble suggérait l’explosion d’une toile-tableau, avec des éléments de tissus épars dont l’installation aux murs restituait néanmoins la forme initiale.
Ce qui se jouait selon l’abscisse et l’ordonnée des cimaises a progressivement investi l’espace et l’architecture avec les Cabanes éclatées: dans les parois de constructions élémentaires cubiques (les cabanes), des formes géométriques ont été découpées et se trouvent projetées contre les murs environnants, selon une scrupuleuse translation.
Si l’éclatement ou l’explosion semble être un motif récurrent dans l’oeuvre de Daniel Buren, sinon son principe actif, c’est que son projet initial à l’égard de l’art et plus particulièrement de la peinture, vise à rompre avec un système de représentation qui subordonne le tableau à un point de vue unique, dans son élaboration tout autant que lors de son interprétation. S’inscrivant en cela dans la lignée de Piet Mondrian, Theo van Doesburg ou encore Pollock, il cherche à donner une égale importance à toute la surface de la toile, ne privilégiant pas un point de vue plutôt qu’un autre.
C’est notamment par sa puissante réflexion sur ces sujets que Daniel Buren s’est affirmé comme un artiste de la contemporanéité. Dans un entretien avec lui, Jérôme Sans lui demande s’il envisage son oeuvre comme étant «ouverte», selon le sens que lui a donné Umberto Eco: une oeuvre visuelle qui serait parachevée – en résumant sans doute trop brièvement la pensée du philosophe -, par un spectateur, un livre par son lecteur, une musique par son interprète.
Ce à quoi l’artiste répond qu’il s’agit sans doute de l’une des ambitions principales de son travail. Et d’indiquer que ce dernier ne peut être ouvert qu’après avoir affirmé dans un premier temps sa règle du jeu, ses restrictions. (Au sujet de… Entretien avec Jérôme Sans, 2000, Flammarion). Par là , Daniel Buren rappelle combien, paradoxalement, la mise en place de son outil visuel dès 1965 lui a permis de travailler sans la crainte de se répéter, délesté de la quête d’identification (la reconnaissance de la signature) qui parfois infuse une oeuvre et entrave son créateur.
Avec les Cabanes éclatées, Daniel Buren s’est livré à d’innombrables expérimentations, tant par la configuration des espaces investis que par la foisonnante palette des matériaux employés, l’oeuvre devenant ainsi son propre site, modifiée par l’architecture qui l’accueille en même temps qu’elle requalifie celle-ci. La Cabane est le lieu par excellence de la multiplicité des points de vue, aussi nombreux que le spectateur peut les activer par son déplacement entre son intérieur et son extérieur et par le truchement de la réflexion des surfaces.
Ainsi, qu’est-ce qui peut intéresser Daniel Buren dans cette proposition installée aux murs, ces hauts-reliefs (qui, vous l’aurez bien saisi, ne constituent en aucun cas la direction dominante de son travail aujourd’hui mais seulement l’un de ses innombrables projets)? Il nous plaît de penser qu’au moment où il quittait les cimaises pour investir l’espace, il ouvrait une brèche dans le système de l’art, il cherchait à pointer les limites de l’autonomie de l’oeuvre et la fonction neutralisante du musée.
Partir à l’assaut de l’architecture était alors une quête politique et idéologique. Trente-cinq ans plus tard, la brèche est devenue une quatre-voies bordée d’ornières et, d’une certaine façon, Daniel Buren peut investir d’autres pistes. Par exemple celle des murs. La très grande diversité des matériaux expérimentés dans les Cabanes éclatées, l’infinie déclinaison des supports utilisés dans ses commandes pour l’espace public ou la sphère intime, lui permettent d’envisager cette situation avec une approche renouvelée. À tel point qu’arpenter l’espace de la galerie entre ces imposantes formes explosées et miroitantes peut déclencher un puissant vortex chromatique, ébranlant la certitude que ces hauts-reliefs sont bien accrochés aux murs…
critique
Quand les Carrés font des Cercles et des Triangles: Hauts-reliefs situés. 2010