Dominique Angel
Quand je vois ce que je vois et que j’entends ce que j’entends, je suis bien content de penser ce que je pense
C’est peut-être l’absence de «singularité» du travail de Dominique Angel — entendue ici comme une spécialité, une marque de fabrique, une signature formelle ou un effet de style — qui le singularise le mieux. Il faut bien dire qu’il s’emploie sans compter à diversifier les pratiques et médiums mis en œuvre, de la sculpture à la performance en passant par la photographie, la littérature, la vidéo ou le dessin.
Considérant seulement ses sculptures, le large spectre «matériologique» mobilisé (métal, bois, objets, verre, plâtre, résine, lumière, goudron, etc.) témoigne encore de cette approche généreuse et plurielle, sinon «maximaliste». La dimension dialogique de la démarche, confrontant matériaux, pratiques ou réalisations, trouve encore son expression au stade du «faire», savant dosage d’expérimentation, de fantaisie et d’invention d’une part, de rigoureux savoir-faire traditionnels de l’autre, dont l’artiste assure généralement la maîtrise, nous informant par la même occasion de son attention à l’égard du «travail», en tant que valeur humaine, sociale et politique.
Ce foisonnement, cette complexité ne supposent pas en conséquence une indifférenciation des multiples manifestations de l’œuvre dont il est ici question. Rien ne nous empêche d’en apprécier les nuances, d’en préciser les distinctions, en considérant d’abord ce qui la fonde et en figure l’essence: la pratique de la sculpture. De fait, c’est autour d’elle que gravitent presque littéralement les autres activités, comme des satellites qui en constitueraient éventuellement l’ébauche, le souvenir ou l’extension.
La particularité de l’exposition présentée à Vidéochroniques réside justement dans l’éclairage qu’elle se propose d’apporter sur un corpus exclusivement sculptural, rarement montré à Marseille (où pourtant l’artiste vit et travaille) avec un déploiement suffisant dans l’espace, qui permet aussi d’appréhender son histoire, de mesurer la durée de son accomplissement.
Rassemblant un ensemble de pièces réalisées au cours des trente dernières années, cette exposition ne constitue pas cependant une rétrospective consacrée au parcours de Dominique Angel. C’est bien plutôt le principe de l’incessante actualisation de ce parcours qui en a déterminé l’élaboration, engagée depuis plusieurs mois, peut-être même depuis plusieurs années.
D’ailleurs, la démarche de cet artiste est résistante, par nature pourrait-on dire, au «genre rétrospectif». Cela tient sans doute aux méthodes et autres stratégies qu’il s’efforce de mettre en place pour maintenir son projet en situation d’instabilité ou de crise (la condition du discernement?), et qui commandent les formes produites.
Malgré sa sobriété, l’intitulé «Pièce supplémentaire», dont il affuble presque toujours ses réalisations depuis les années quatre-vingt-dix, nous renseigne déjà beaucoup au sujet de ce qu’il nomme «une esthétique du fragment», c’est-à -dire aussi sur l’autonomie toute relative de chacun des éléments qui composent la globalité du travail, donc sa complétude, dont l’entière signifiance est précisément inatteignable du vivant de l’artiste.
Cette sorte de «post-scriptum» réitéré systématiquement formule ainsi sa vision de l’œuvre en tant que chantier ininterrompu, de déménagement permanent, impliquant de faire et défaire sans cesse, de faire preuve d’une infaillible constance dans le désordre.
Édouard Monnet
Vernissage
Mardi 6 mai 2014 Ã 16h
critique
Quand je vois ce que je vois et que j’entends ce que j’entends, je suis bien content de penser ce que je pense