«Pure Moonlignt» nous invite à pénétrer dans un univers éthéré, composé de grandes peintures murales. Six tondos élaborés à partir de cercles bleus et gris se présentent à nous comme d’immenses cibles, dont le cœur varie néanmoins dans chaque œuvre. En effet, ces tondos comportent toujours cinq cercles concentriques, mais la scansion entre les couleurs bleu et gris change sur chaque modèle, et surtout, un vide plus ou moins grand ponctue l’épicentre des œuvres. Ainsi, nous nous retrouvons face à des cercles concentriques agencés selon un rythme de scansion plus ou moins concentré ou dilaté.
Les Pure Moonlight obéissent donc à une structure en boucle, où cependant notre perception a bien du mal à s’opérer de façon claire et nette. Effectivement, notre perception n’arrive pas à déterminer précisément les limites et contours des œuvres. Notre regard se trouve carrément perturbé, et nous avons alors l’impression d’observer des œuvres nébuleuses, composées à partir d’un matériau vaporeux. Paradoxalement, plus on tente de se focaliser sur les peintures murales, plus notre perception se trouble, comme si elle était définitivement incapable de se stabiliser.
Ugo Rondinne crée ainsi des formes insaisissables et mouvantes. Les tondos apparaissent comme des trompe-l’œil, des cibles vibrantes, qui transcendent les limites de la peinture «statique». Le plaisir du spectateur provient alors de cette incapacité à mettre au point son regard, voire à être trompé, victime d’illusions d’optique ou d’hallucinations. Dans l’univers de Ugo Rondinone, plus rien ne nous garantit que des formes simples, en l’occurrence des cercles, se donneront à notre regard de manière certaine et limpide.
Les œuvres apparaissent alors comme autant de vibrations ou d’émanations qui changent au gré des positions du spectateur. Selon la distance qui nous sépare des œuvres, ou l’angle à partir duquel on les contemple, les Pure Moonlight ne revêtent pas la même apparence. En ce sens, les œuvres sont fluctuantes et nous ouvrent les voies d’un monde onirique, d’un voyage intérieur, où les frontières entre le statique et le mouvant se trouvent chamboulées.
Tout se brouille, la vision s’altère, on se situe entre rêve et réalité, dans un univers brumeux où le temps se suspend. Alors que notre perception fluctue face aux grands tondos, de petites bougies aux couleurs éclatantes sont disséminées çà et là sur le sol de la galerie. Leur petitesse, leur fragilité et leur éclat limpide contrastent évidemment avec les immenses cercles concentriques aux contours fluctuants. Ces bougies sont en réalité composées de bronze et de plomb. Leur taille varie, comme si elles avaient brûlé pendant plus ou moins longtemps, leur mèche est cramoisie, et la cire a dégouliné le long de ces bougies, se répandant en diverses flaques à leur base.
Les bougies apparaissent ainsi comme les vecteurs d’un temps suspendu. Seuls les titres des tondos, divulguant les dates où les œuvres furent composées, nous offrent un marquage temporel précis. Les fenêtres de la galerie ont également été occultées, nous coupant de la réalité et du flux du monde extérieur, ainsi que de la lumière naturelle indiquant à quel moment du jour nous nous situons.
Au final, nos repères visuels et temporels se trouvent bouleversés. Les tondos nous indiquent que notre perception ne peut plus s’appuyer sur les découpages habituels qu’elle constitue, et qui nous aident à délimiter les objets qui viennent à nous. Notre vision est également perturbée par des changements d’échelle, puisque l’on est d’abord confronté à des œuvres d’envergure, puis à de petits formats avec les bougies multicolores. Alors que notre perception était incapable de se fixer, il nous faut maintenant être vigilant, afin de ne pas heurter ces bougies minuscules qui se trouvent à nos pieds, et retrouver d’un pas certain notre chemin vers la réalité.