Catherine Gfeller n’a pas besoin de montrer la tristesse de la ville pour parvenir à mobiliser les thématiques existentielles qui animent les rues. Son œuvre tisse un continuum entre la vie individuelle et la multiplicité de la ville pour former le couple vie et ville.
Sa technique de la caméra embarquée, tenue à la main sans trépied, en route, en chemin, parfois même au volant les cheveux au vent, c’est ce que traduit le titre bouillonnant, «Pulsation», de l’exposition. Cette pratique de la camera permet de capter le rythme palpitant de la vie.
C’est donc avec une caméra tenue au niveau du ventre que Catherine Gfeller a réalisé les cinq vidéos de la série des «Frayeuses».
L’objectif est braqué sur les pieds de femmes dans la ville, dans la nature, ou sur la plage, tandis que le son est constitué de souffles et de susurres humains, ou du ressac de la mer.
Les mouvements de ces vidéos projetées sur les murs du centre d’art contemporain de Sète, l’emplacement de la caméra ainsi que son léger cahotement au rythme de la marche et des oscillations du ventre de l’artiste confèrent une sorte de mouvement vital proche de celui que ressent l’enfant dans le ventre de la mère. Femmes filmées sans bustes ni visages, c’est à leur marche en tant que processus d’évolution et de création que l’œuvre se dédie.
Les visages n’apparaissent que dans les photographies de la série «Procession». Mais ce sont des visages anonymes extraits de la masse défilante des passants des grandes villes. Visages figés par arrêt sur image, zoomés et agrandis à plusieurs reprises jusqu’à devenir flous. Visages dont la singularité des grains de la peau et des regards est absorbée par le flou, autant que les individus photographiés le sont dans la masse informe des flux humains qui sillonnent les rues. Étrange proximité qui dissout l’individualité dans une multiplicité individuée.
Ce pont entre la singularité et la multiplicité est encore à l’œuvre dans le triptyque vidéo Bouches de Paris, où Catherine Gfeller joue elle-même le rôle de la passante. Caméra à la main, elle filme ses lèvres rouges tout en prononçant les noms des lieux qu’elle traverse dans sa déambulation urbaine. Le cadrage coupe le visage et se concentre sur la parole. Le titre au pluriel, Bouches de Paris, renforce l’anonymat à tel point qu’on ne sait plus si c’est l’artiste ou bien la ville qui parle à travers ces lèvres filmées. Loin d’exprimer une aliénation, l’œuvre produit une symbiose entre la ville et la femme.
Cette union se constate également dans les photographies de la série «Les dérangeuses» dans lesquelles des femmes au visage caché sont larvées dans un épais amalgame de breloques, de tissus, de papiers et de meubles. Les murs et les sols disparaissent sous un désordre d’objets. Les femmes aux postures alanguies, aux affaires dérangées et froissées, expriment le mou confort d’une matrice protectrice.
Chacune des quatre œuvres de la série «Multicomposition» se compose de plusieurs clichés d’un même endroit photographié à différents moments de la journée. L’unité de l’œuvre est ainsi démultipliée par la temporalité des points de vues rassemblés dans un même espace, ce choc des espaces-temps traduit la multiplicité des pensées, des actions et des spatialités humaines.
Depuis une vingtaine d’années, Catherine Gfeller ne cesse de chercher à dépasser la ligne de partage entre ce qui est urbain, froid et inanimé, et ce qui est intime, animé et vivant. Elle tente ainsi de faire advenir des valeurs quasi-maternelles au sein de la supposée inhumanité des villes. Et de réconcilier la ville et la vie à un moment où son unité n’a, peut-être, jamais été aussi difficile.
Å’uvres
— Catherine Gfeller, Chimère, 2009-2010. Photos collées sur aluminium. 80 x 100 cm
— Catherine Gfeller, Les Frayeuses, 2007. 5 Vidéos
— Catherine Gfeller, Procession, 2011. 10 photo imprimées sur dos bleus collés aux murs. 3 x 1,40 m
— Catherine Gfeller, Bouches de Paris, 2008-2011. Vidéo. 5’54 ‘’
— Catherine Gfeller, States. Projection 4 vidéos
— Catherine Gfeller, Villes et Elles, 2000-2005. Multi-composition, 4 photos collées sur aluminium,
— Catherine Gfeller, Les Dérangeuses, 2008. 8 photos contrecollées sur aluminium.
— Catherine Gfeller, Pièces domestiques, 2002-2011. 12 téléviseurs.
— Catherine Gfeller, Selfcamera, 2011. 32 photos collées sur aluminium, 48 x 65 cm, 2 vidéos projetées sur écrans plats.