Michel Blazy
Pull Over Time
Comme souvent dans les propositions de Michel Blazy, la matière est mise à l’honneur, ou plutôt à l’épreuve, dans un espace d’exposition qui devient son laboratoire. Dans un équilibre subtil entre maîtrise et aléatoire, la matière évolue et se transforme dans l’espace-temps de l’exposition, en fonction de ses propriétés et de ses conditions de monstration.
Proches de l’Anti Form défendue par Robert Morris ou des travaux de Dieter Roth, les œuvres de Michel Blazy ne sont pas des formes fixes, mais des capteurs spatio-temporels qui intègrent le hasard et l’imprévisible, qui revendiquent le passage du temps.
«Je leur offre du temps» affirme l’artiste. Qu’il s’agisse du mur qui boit, des «dessins» à l’eau de Javel ou des pull-over, ce sont les réactions organiques ou chimiques — de la capillarité à l’absorption, en passant par la germination — qui sont à l’œuvre, et qui sont autant de stratégies d’émancipation et de survie de la matière.
La matière dans tous ses états révèle la perméabilité des corps, dits solides, qui se laissent traverser et contaminer par la diffusion des fluides: le plâtre au contact du colorant, les fibres à celui du détergent ou de l’eau.
Si ce n’est plus la «sculpture qui mange» (référence à une pièce de Giovanni Anselmo, Senzo titolo (Scultura che mangia), 1968), mais «le mur qui boit», l’attitude de l’Arte Povera n’est pas loin non plus: dans l’utilisation de matériaux ordinaires, organiques ou rudimentaires, mais surtout dans l’affirmation d’un geste artistique humble, en réaction à un art luxuriant et ostentatoire.
Dans des présentoirs épurés, à la manière d’un display de boutique de luxe ou d’un showroom, le visiteur découvre les dernières productions de l’artiste; côté électronique, un ordinateur portable et un appareil photographique, côté prêt-à -porter, une série de pull-over déclinée en trois coloris. Mais la comparaison s’arrête ici. Affranchis de l’esthétique industrielle, léchée et finie, les articles proposés envahis par une végétation spontanée affichent une défaillance manifeste, un dysfonctionnement assumé. Ils se régénèrent par l’intervention du végétal, d’une nature qui reprend ses droits — à l’image de ces appareils électroménagers laissés à l’abandon au bord des routes, au fond des eaux. Echappant à leur obsolescence programmée, ces produits manufacturés déconditionnés deviennent les réceptacles d’une nouvelle vie, sauvage et primitive.
Comme souvent dans le travail de Michel Blazy, le vivant est à l’œuvre et détourne avec humour les mécanismes de l’industrie culturelle et de la société de consommation. Aux confluents des utopies écologiques des années 1970, Michel Blazy affirme ainsi un procédé innovant de traitement des objets mis au rebut, une opération de recyclage poétique.
Eminemment politique, la démarche de Michel Blazy se rapproche des concepts développés par le paysagiste et écrivain Gilles Clément, proposant en quelque sorte des «jardins de résistance» miniatures. Son travail remet en question non seulement le statut d’œuvre d’art et d’exposition, mais surtout notre conception du temps et le rapport de l’homme à son environnement, dans une tentative de réconcilier l’éternelle opposition entre nature et culture.
Julia Mossé