L’exposition «Provoke, entre contestation et performance, la photographie au Japon 1960-1975» au Bal, à Paris, revient sur l’histoire de la revue photographique japonaise Provoke, publiée entre 1968 et 1969 et sur le contexte artistico-social de l’époque.
Dans un contexte de crise identitaire de la société japonaise, soumise aux assauts de la modernité et au développement fulgurant d’une société de consommation sur le modèle occidental, un collectif de photographes fondent cette nouvelle revue destinée à capter la complexité de la situation que traverse leur pays et les paradoxes du progrès.
La photographie au service de la pensée
Les photographes Takuma Nakahira, Yutaka Takanashi et Daidō Moriyama, le critique Kōji Taki et le poète Takahiko Okada sont convaincus que la photographie n’a jusqu’alors pas été capable de déclencher des prises de conscience ni des changements politiques. Ce constat impose à la revue Provoke un nouveau langage visuel qui se veut «brut, flou et granuleux», pour faire de la photographie un «matériau pour la pensée».
L’exposition présente de nombreux clichés qui furent publiés dans la revue et témoignent de ses partis pris, ainsi que des œuvres emblématiques de la photographie japonaise de l’époque. La série Accident de Daidō Moriyama, le recueil photographique Towards The City publié par Yutaka Takanashi en 1974 et les clichés troubles de Takuma Nakahira réunis dès 1970 dans For A Langage To Come témoignent du renouveau prôné par la revue Provoke qui, en trois numéros, a bouleversé l’histoire de la photographie.
On découvre également une collection inédite de «protest books»: entre 1960 et 1975, environ quatre-vingt publications paraissent dans le cadre des mouvements de contestation qui secouent le Japon. Edités par des associations étudiantes, des syndicats, des artistes photographes et des photojournalistes professionnels, ces ouvrages visent à diffuser l’information et à mobiliser la population. Leur graphisme novateur repose sur une combinaison inédite des textes et des images, la suggestion par des photographies à l’esthétique abstraite et floue, des cadrages serrés et dynamiques… Ces choix formels ainsi que l’opposition entre la sophistication de la mise en page et la simplicité des matériaux utilisés se retrouvent dans les pages de Provoke.
Les photographies de la revue dialoguent également avec la scène émergente de la performance au Japon. On reconnaît dans les clichés le mode opératoire et l’esprit de ces actions artistiques qui se déployaient dans l’espace public et qui elles-mêmes se nourrissaient de la démarche de la revue Provoke. Action directe et image se confondent et la photographie dévoile sa puissance performative.