PHOTO | CRITIQUE

Promenades irrationnelles

PFrançois Salmeron
@25 Avr 2016

On peut être tenté de sourire face aux clichés saugrenus de Philippe Ramette. Pourtant, plutôt que d’évoquer l’absurde ou le burlesque, ses prises de vue nous arrachent à la pesanteur de notre humaine condition, et nous invitent à la rêverie, à la contemplation, noyées dans les merveilles palettes bleues qu’offre le paysage méditerranéen.

Reconnu à la fois pour son travail de sculpteur et pour sa pratique photographique, Philippe Ramette poursuit ses fameuses «promenades irrationnelles» entamées en 2003, lors desquelles l’artiste arpente désormais les abords du port de Sète dans des prises de vue toujours aussi déroutantes pour le spectateur. On retrouve ainsi dans l’accrochage de l’exposition des clichés ayant une dizaine d’années, et de nouvelles prises de vue réalisées spécialement pour l’occasion. Toutes les photos s’ancrent toutefois dans le même univers marin, et fonctionnent suivant le même principe, à savoir proposer des situations insolites.

On peut tout d’abord être tenté de sourire face aux clichés de l’artiste, tant il semble miser sur l’absurde, le saugrenu. On le perçoit, l’air impassible, dans un panel de positions intenables: les semelles collées sur un palmier et le corps strictement perpendiculaire au tronc de l’arbre; en train de lire le journal au fond de la Méditerranée, comme si de rien n’était; ou perché en haut d’un escabeau comme s’il repeignant la surface de la mer; ou encore, marchant sur l’eau tel un messie. Les légendes de ses photographies font aussi preuve de traits d’humour grinçant, notamment avec le tirage Socle (Hommage à la mafia), où l’on perçoit Philippe Ramette les pieds pris dans un bloc de béton, au fin fond des eaux, à l’image d’une exécution crapuleuse.

Pourtant, plutôt que d’évoquer systématiquement le burlesque et de prêter simplement à rire, ces sortes de performances semblent être réalisées avec le plus grand soin et le plus grand sérieux par l’artiste. En fait, Philippe Ramette s’attèle à créer un point de vue décalé sur le monde, au sens propre du terme. Il souligne même qu’il cherche à «construire de manière rationnelle une image irrationnelle». Pour ce faire, il élabore ce qu’il nomme des «prothèses», sortes d’outils qu’il harnache à son corps et qui lui permettent ainsi (certes au prix d’un certain effort physique) de se retrouver dans des positions ubuesques, qui dérogent aux lois universelles de la pesanteur.

Le projet de l’artiste se pare alors d’une connotation plus sérieuse. D’un point de vue existentiel, il s’agit de se dérober ou de s’arracher pour un laps de temps à notre humaine condition, et de ne plus avoir véritablement les pieds sur terre. D’un point de vue artistique et plastique, l’artiste mêle habilement ses deux pratiques de prédilection: la sculpture, à travers la confection de ces dites prothèses, et la photographie, à travers l’élaboration d’un point de vue détonant sur un paysage maritime (voire sous-marin dans la série réalisée en Corse), et la réalisation d’un cliché pris par son complice Marc Domage.

Car si les photographies n’ont rien de réaliste, tant elles bouleversent nos repères et chamboulent la gravité en renversant les formats (les photos réalisées en format paysage sont accrochées en format portrait, et inversement), elles demeurent bel et bien réelles. Car ici, l’artiste n’a nul recours à des trucages, à des montages, ou à des retouches sur ordinateur en post-production. Ce sont ces fameuses prothèses, masquées par son costume noir, qui permettent à l’artiste d’adopter ces postures extrêmes. Dans son costar, il arbore d’ailleurs les traits d’un personnage banal, ordinaire, à la mine contemplative, détachée.

Philippe Ramette feint ainsi son relâchement, il se pare d’un air naturel. Pourtant, son inconfort se trahit et se devine parfois. Par exemple, il courbe l’échine, et sa joue, son pantalon ou sa mèche tombent sous l’effet de la gravité qu’il tente tant bien que mal de défier. Mais au juste, l’artiste ne serait-il pas un doux rêveur, lui qui voudrait se défaire de son humaine condition? Telle est l’impression qu’il nous laisse finalement, le regard perdu dans le vague, mélancolique, scrutant l’horizon, entouré des flots et des belles palettes bleues méditerranéennes – celles de l’onirisme, indéniablement.

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