On entre dans une clairière certainement oubliée, à l’abri des regards et de l’agitation. Au centre, un bassin circulaire à l’ourlet généreux un peu désuet, comme le vieux souvenir suspendu d’une ordonnance classique (Bassin, 2009). A proximité du plan d’eau, des morceaux de corps en attente, postés contre les murs ou étendus sur le sol (Figures et Couple, 2009).
Ce ne sont que des jambes et des bras, enlacés ou emboîtés, aussi diaphanes que l’espace dans lequel ils se trouvent, blanchis et jaunis par l’effet de cire, aussi laiteux que le liquide en stagnation dans le bassin.
Rien ne vient perturber ce tableau, pas même un léger clapotis. Rien si ce n’est cette suspicion traînante, la gêne de déambuler au milieu des monstres, la peur de rompre la glace de cette bulle polaire figée dans un équilibre de formes inertes. La seule issue ressemble aux souricières alignées dans le fond de l’espace (Niches, 2009), une échappatoire à considérer plutôt comme de petits goulots d’étranglement.
On connaissait Sophie Dubosc pour ses objets à la croisée des chemins, un pas dans le réel un autre dans une saisissante torpeur onirique, mimant à chaque installation l’inquiétante étrangeté freudienne.
Pour sa première exposition personnelle Chez Valentin, elle invente une espèce d’enclave surréaliste qui tient de la rigueur architecturale d’un Chirico ou du morcellement disparate d’un Tanguy. C’est pourtant vers René Magritte qu’elle se tourne. Et précisément vers un tableau du maître, L’Entr’acte réalisé en 1927. Il y montrait les mêmes corps morcelés en attente derrière un rideau que l’un des organes s’apprêtait à ouvrir, dévoilant un curieux paysage de montagne alvéolée.
Même mise en scène au cordeau, même dramaturgie du moment, même paysage avant la rupture: Sophie Dubosc déplace dans la sculpture ce que Magritte composait en peinture. Le calme avant l’orage, les indices dispersés dans les quatre coins de l’installation/tableau. Et le spectateur laissé au milieu du gué, remplissant le vide et conjuguant ses déplacements avec le règne mortifère de la scène. Le silence des «mannequins», leur attente infinie face à nos pas de vivants, ce monde trouble, asexué et poussiéreux face à notre indétermination lâche. Regarder, hésiter, toucher et tenter de s’éloigner.Â
Un théâtre des apparences et des illusions donc, que Magritte représentait par un rideau et que Sophie Dubosc matérialise par un mur faisant obstacle (Couloir, 2009). Sauf qu’avec elle, une fois passé le mur, le spectateur fait corps avec la scène. La magie de Sophie Dubosc opère à cet instant, quand il s’y sent totalement emprisonné.
Sophie Dubosc
— Couloir, 2009. Structure aluminium, plaques de plâtre. 7,5 x 360 x 235 cm
— Bassin, 2009. Cire microcristalline, bois, liner, eau colorée en blanc. 380 cm de diamètre
— Niches, 2009. Structure aluminium, plaques de plâtre, niches en plâtre. 680 x 380 cm
— Figure allongée, 2009. Cire microcristalline. 90 cm de hauteur
— Figure debout contre un mur, 2009. Cire microcristalline. 90 cm de hauteur
— Couple, 2009. Cire microcristalline. 90 cm de hauteur