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Programmes: une application du processus re-action

Pour sa 4e édition, le festival Concordan(s)e organise des rencontres entre des écrivains et des chorégraphes, autour de la question du désir et du besoin de créer. L’écrivain travaille les mots, le chorégraphe prend comme matière le corps même. L’échange peut emprunter des formes diverses. Annie Vigier et Franck Apertet, les gens d’Uterpan, s’emparent de cette invitation pour proposer Programmes, une nouvelle application du processus re/action.

Leur travail se situe à la lisière de la performance, de la danse, de l’exposition et de l’événement. Ils se jouent joyeusement des frontières et interrogent de manière critique les modalités d’apparition, de production et de lecture du spectacle vivant.
Dans une démarche réflexive visant le statut du chorégraphe et les conventions qui régissent le champ social de la danse, Annie Vigier et Franck Apertet créent des œuvres chorégraphiques qui se condensent en à un titre et en une signature, Pièce qui porte le nom et l’adresse du lieu où elle se produit, ou encore ont la forme d’une audition publique transformée par ailleurs en performance, Avis d’audition et Parterre, activée dans les salles de manière intempestive.

Dans le contexte de Concordan(s)e, ils s’attaquent à l’écriture, qui est au cœur du processus chorégraphique, posent une question récurrente : « Qu’est-ce-que créer aujourd’hui ? » mais par le biais d’un autre type d’écriture, celle de la communication et de l’interprétation de la danse: critiques, articles de presse, programmes, feuilles de salle…

Le dispositif qu’ils mettent en place est simple, sa frontalité est radicale. Quatre lecteurs sont assis devant des tables dont les dimensions font penser à une possible manipulation des corps et dont l’inclinaison rappelle le travail à la chaîne. Ils donnent voix à des programmes de spectacles de danse. A l’entrée du théâtre, chaque spectateur en a reçu un tout autre exemplaire, faisant référence à une pièce déjà jouée ou à venir. Comme à l’accoutumée, l’intervention des gens d’Uterpan se constitue en une injonction directe à l’adresse du public, qui est obligé de se positionner, de porter un regard critique sur sa pratique de « spectateur » et sur les codes implicites qui régissent la représentation de la danse.

Les quelques effets comiques obtenus par la lecture ne peuvent pas dissimuler la sonorité creuse et convenue des formules qui, sous le signe de l’art, propagent un marketing insidieux. C’est une déferlante de la langue de bois qui dit la danse. Ceux d’entre les spectateurs qui se seraient pris au jeu et auraient cherché à reconnaître le chorégraphe avant qu’il soit nommé, doivent désarmer devant le pouvoir écrasant des mots, anodins ou, ce qui est pire encore, recherchés, précieux, mués en panacée universelle.

Des chorégraphes les plus célèbres aux plus confidentiels, des lieux les plus prestigieux aux plus alternatifs, rien n’échappe au fléau du jargon. A l’heure où les critiques de danse sont de plus en plus prisés comme dramaturges ou conseillers auprès des chorégraphes, il est plus que salutaire de débusquer ces tares du langage. Et le présent texte n’y échappe sans doute pas…

Certes, l’expérience peut en agacer plus d’un… mais une certaine radicalité est nécessaire pour bousculer les habitudes paresseuses. Les Bocalistes de Boris Charmatz − ces terribles étudiants-expérimentateurs remettant en cause, par leurs actions, l’efficacité de l’enseignement en danse − avaient déjà pensé à un Exercice de prédiction auquel la proposition des gens d’Uterpan semble répondre. Ils y exposaient l’intelligence des attendus d’une représentation, tout autant que la bêtise acceptée des a priori, des clichés et des fausses certitudes…

Ces deux démarches vont de paire, s’attaquent à la question de la représentation d’une représentation et nous rappellent que « Le spectacle est toujours déjà « représenté » avant d’être vu » (Boris Charmatz).

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