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Prix Novembre

L’exposition commune qu’ils livrent à la Galerie municipale de Vitry le montre d’ailleurs dès les premières notes: chacun établit son camp sur l’une des deux longueurs. Peintures au format identique qu’il accompagne d’une série de petits dessins sur papier pour Filippi. Sujets plus disparates, formats de tableaux plus étoffés, séquences plus abruptes pour Oliveira Fairclough.
Le décor une fois planté, les deux artistes s’amusent de ce décalage. Et se donnent le change, notamment dans la deuxième salle lorsqu’à travers la reprise d’un signe presque similaire, la toile de l’un semble littéralement singer celle de l’autre.

Mais l’essentiel réside dans leur singularité, dans leur type d’écriture et leur manière d’explorer l’abstraction.

L’environnement d’Olivier Filippi mobilise autant les grandes figures de la peinture que l’imagerie du logotype et du design contemporains. On pense à Ellsworth Kelly, à Barnett Newman, éventuellement à Clyfford Still et aux destinées de la peinture gestuelle américaine. On ressort la fantasmagorie pop-art et les objets estampillés des années 70. On envisage ses lignes à l’aune de celles du langage publicitaire.
Sa peinture traverse bien tout ce bruyant corpus mais elle ne s’y arrête pas. Le sujet unique que constitue chez lui l’opposition fond-forme, l’élasticité de cette forme « nomade » qui court à la surface de la toile, l’application d’une couleur intensément vive, « artificielle » pourrait-on dire, ou encore la volonté de se concentrer sur le hors-champ du tableau plaident plutôt pour une réflexion sur la nature même du tableau à l’ère de son anachronisme présumé.
La photographie et la vidéo sont effectivement passés par là. Les tableaux d’Olivier Filippi parlent également de séquence, de vitesse comme de cadre et de bord-cadre.

De son côté, Camila Oliveira Fairclough digère la frontière qui ciselait le modernisme de Kelly et Agnès Martin de la radicalité conceptualisée des Weiner et Kosuth lorsque ces derniers ont exploré le champ de la sémiologie. Chez l’artiste, les mots et les formes sont des arguments du même ordre, sinon des outils identiques pour aborder, à son tour, la «physicalité» du tableau.
Concrètement, son travail consiste à mettre en tension un simple signe, celui-ci retiré de son contexte commun (le logo, le typographie, l’écriture, l’architecture et bien d’autres éléments de notre « paysage collectif ») pour accompagner le vide apparent de la toile. A partir de là, des micro-récits interfèrent à la lecture du tableau, celui-ci absorbant une quantité de possibles (et ce d’autant plus que ces récits se poursuivent dans les tableaux voisins).
Non content de jeter le trouble entre le fond et la forme, la surface de Camila Oliveira Fairclough devient un terrain de jeu où chaque implication du regard se pliera à une nouvelle dimension sémantique.

A cela s’ajoute les titres et leur propre implication dans cette lecture. Chez Olivier Filippi, le titre de ses toiles a une importance toute relative. Il est associé aux couleurs assurant l’animation sur la surface, autant par défaut que par honnêteté et ironie. Camila Oliveira Fairclough pose le titre comme un postulat, ou pour le moins l’un des déterminants à l’appréhension du tableau. Non pas que le titre dit tout du tableau, il indique par contre les exigences préalables à sa découverte.

C’est dans leur pratique de peintre qu’ils finissent par se retrouver. Pour eux deux, le tableau est le théâtre d’une lutte permanente, un engagement constant, un sujet d’étude en tant que tel. Probablement parce que son existence en dépend, parce que son autorité est depuis longtemps mis à mal. Ce qui par bonheur le rend physiquement très fort et vigoureux mais jamais traité dans l’urgence. Car si les informations qu’il envoie au regardeur misent sur leur impact visuel immédiat, la tache s’étend dans le temps de la réflexion.
Un anachronisme de plus dirait-on ? Plutôt une manière lucide de s’approprier un médium séculaire et de le colorer d’une actualité manifeste.
 

Olivier Filippi
— Orange 03, 2007. Acrylique sur toile. 215 x 115 cm.
— Dessin, 2007. Feutre et encre sur papier. 27 x 21 cm.

Camila Oliveira Fairclough
Uzine, 2006. Acrylique sur toile. 190 x 150 cm.