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Prise directe

15 entretiens menés entre 1994 et 2002 avec autant d’artistes, et destinés à différents magazines d’art internationaux ou catalogues d’expositions. Des conversations à voix multiples où l’échange permet une appréhension directe de l’œuvre et du processus créatif des artistes (Armleder, Gygi, Parrino, Veilhan, Morris, Mosset, Walsh, etc.).

— Éditeur : Les Presses du réel, Dijon
— Collection : Documents sur l’art
— Année : 2003
— Format : 21 x 15 cm
— Illustrations : aucune
— Pages : 169
— Langue : français
— ISBN : 2-84066-069-5
— Prix : 11 €

Les uns parlent aux autres (de vous à moi)
par Xavier Douroux (p. 7 à 9)

À la fin des années quatre-vingt le Journal of Contemporary Art (né en 1988 à New York à l’initiative de deux artistes : Philip Pocock et John Zinsser) publiait plusieurs numéros entièrement constitués d’interviews d’artistes. Une série d’entretiens extrêmement pertinents, conduits par des critiques et/ou artistes, dont la brièveté reflétait avantageusement la dimension de prise directe.

L’impression que j’en garde est d’abord le fait d’existence — à cette époque encore — d’une communauté artistique (et son environnement proche) sans clivage de générations. Différemment, le culte jeuniste et l’extrême rapidité des consécrations (et autres abandons) médiatiques, depuis une décennie, ont aujourd’hui conduit à une vraie et durable segmentation. N’en déplaise aux bonnes âmes, il faut bien constater que la « glaciation » immédiate des images et postures artistiques, tout comme le réchauffement né des ouvertures mondialistes, ne sont que les pendants d’une même climatologie faite d’excès inutiles, car sans usages, à l’origine de cet éclatement.

L’autre caractéristique marquante de l’initiative américaine était son souci pragmatique d’information. Rien d’historiographique, mais participer à la création du contexte produit par les œuvres au moment de leur apparition ou de leur relecture, et pas a posteriori décrire celui où elles se seraient inscrites. Informer sur les fictions décalquées du réel qu’elles lui substituent.

Aussi, lorsque Lionel Bovier et David Perreau imaginèrent sur une base finalement assez proche, la création d’une revue intitulée Produits d’entretiens, c’est avec beaucoup d’enthousiasme, et en plein accord avec Éric Troncy et Nicolas Bourriaud, que la décision fut prise d’inclure le numéro zéro de ce futur magazine dans ce qui reste à ce jour la dernière livraison annuelle de Documents sur l’art (n° 12, année 2000).

Hélas, le projet en restera à cet état de simple ébauche au dos d’une belle étude d’ensemble. Mais, le principe d’un ouvrage réunissant plusieurs conversations fut arrêté avec Lionel Bovier et Christophe Cherix, générant par là même une esquisse préparatoire plus précise : agréable mélange de traits incisifs (Parrino, Morris, Armleder), de courbes enveloppantes et d’investigations en obliques (Veilhan, Walsh et Mosset, Siegelaub, Gygi), de parallèles mutuellement enrichies (Arinaly sur Goldstein, Miller à deux reprises).

Des notoriétés volontairement inégales (qui ne préjugent pourtant pas de l’importance des propos tenus) et une diversité d’expériences comme de situations allant de l’entretien téléphonique à l’emploi du courrier électronique, de l’ambiance d’une séance psychanalytique à l’évocation de souvenirs à la fin d’un repas, de la parole laissée à l’échange croisé. Un tout où les effets de réverbération, les différents renvois, jouent comme autant de rebondissements dans l’unité d’un récit — celui-là même que l’on perçoit de plus en plus comme tel, au fil d’épisodes construisant les contours d’un territoire des Å“uvres en forme de quadrature circulaire…

Mieux donc : la promesse d’un album à colorier — paradoxalement moins intéressant pour sa connotation même de Do it yourself, que du fait qu’ici les couleurs soient précisément à chercher du côté de la peinture, entre New York, Genève et Paris.

Quand Dan Walsh prévient avec lucidité : « Une foule d’artistes croit à l’idée romantique que la peinture les choisit. La plupart ont toujours su qu’ils voulaient devenir peintres et ont investi dans le mythe de la peinture avant de penser sérieusement à sa dimension critique ou, plus récemment, à sa mort » ; et que Flarrino se dresse pour renchérir : « J’ai commencé à peindre après la mort de la peinture » ; juste avant que la voix tout juste audible de Baudevin ne glisse : « De mes peintures, j’ai l’espoir qu’elles soient, en fin de compte, des peintures sans prétexte » ; et que pour finir Mosset ne s’emporte contre lui-même : « Je continue à peindre et mes toiles sont ce qu’elles sont. Pourquoi alors faire le malin en pensant qu’elles ne sont pas ce qu’elles devraient être ? Elles le sont certainement. »

Le tout dans l’espace d’une lecture.

(Texte publié avec l’aimable autorisation des éditions Les Presses du réel)

Les auteurs
Lionel Bovier est directeur des éditions Jrp et commissaire associé au Magasin à Grenoble et au musée cantonal des beaux-arts de Lausanne.
est assistant-conservateur du cabinet des estampes du musée d’Art et d’histoire de Genève.

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