DANSE | CRITIQUE

Primero

PJuliane Link
@01 Déc 2010

Lisi Estaras se propose d’explorer ici le thème de l’enfance à travers la mémoire «des premières fois» qu’évoque le titre de Primero. Souhaitant parcourir l’intensité de ces instants, elle révèle aussi le processus au cours duquel nous réécrivons nos souvenirs, en les sublimant.

Retrouver un peu de celui qu’on a été enfant est une démarche qui engendre nostalgie et enchantement. Elle offre un potentiel incroyable d’exploration de notre mémoire et de la construction des souvenirs.

De quelle manière certains évènements vécus se sont-ils inscrits dans le corps? Chacun de nous a été confronté à ces moments d’émerveillement liés à la redécouverte de souvenirs oubliés, ne serait ce qu’en parcourant un vieil album photo, créant cette vive émotion dans ses chairs.

Sur le plateau, un intérieur qui ressemble à un vieux salon est cousu d’un parterre de gazon. Le décor est mouvant et les meubles sont habités de souvenirs, comme ce placard dans lequel une danseuse s’enferme, chantonnant depuis son antre pour le rendre vivant, évoquant un refuge solitaire ou les parties de cache-cache de son enfance. La thématique de l’exploration des gestes quotidiens à la quelle s’attache souvent les Ballets C de la B, est cette fois ancrée dans le passé. Il s’agit de retrouver nos conduites ordinaires d’autrefois.

En cherchant à exprimer l’enfance, Lisi Estaras parle également de l’organisation de la famille, où l’on se côtoie, partage les réunions familiales, ces moments de fêtes privilégiés qui se juxtaposent avec des instants de vie et de réflexion solitaire. Elle observe la famille sous l’angle du groupe qu’elle constitue, où chacun effectue les expériences fondatrices de sa relation aux autres.

La construction de la pièce s’élabore dans l’alternance de moments individuels, où la gestuelle semble affranchie de toute définition antérieure, et de moments collectifs dont la composition s’avère très soignée.

L’écriture chorégraphique est saccadée, faite de micro vibrations et de gestes discontinus. La danse est aussi celle de l’autre. Elle nous offre de jolis instants comme ce duo où un premier danseur porte le second par son col de chemise, évoquant l’attention d’une jeune mère envers son petit, dans un rapport peu tactile et cependant très animal.

Lisi Estaras nous livre son enfance, en choisissant l’univers musical de Yom, grand clarinettiste klezmer. Elle illustre par ses tonalités les traditions juives qui ont accompagné sa jeunesse. Cependant, malgré ce choix ancré dans une communauté, la sienne, elle laisse la place au vécu de chaque interprète, qui s’exprime dans le jeu où chacun part à la recherche de ses mondes imaginaires. Rien n’est plus touchant que de regarder un enfant lorsqu’il joue et construit avec fantaisie son univers. La force de la pièce tient à ce sentiment d’authenticité que l’on retrouve dans le geste des danseurs. Sur le plateau, les cinq interprètes sont redevenus des enfants.

— Chorégraphie: Lisi Estaras
— Créé et dansé par Bérengère Bodin, Arend Pinoy, Anna Calsina Forrellad, Samuel Lefeuvre, Nicolas Vladyslav
— Dramaturgie: Bart Van den Eynde
— Musique (clarinette): Yom
— Scénographie: Wim Van de Cappelle
— Éclairage: Kurt Lefevre
— Son: Sam Serruys
— Costumes: Dorine Demuynck
— Direction de production, tournée: Mimi van de Put

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