— Auteurs : Vincent Pécoil, John Miller, Robert Nickas, Kim Gordon, Hunter Drohojowska, Mike Kelley, Jutta Koether, Christian Marclay, Marie-Pierre Bonniol, Andrew Wilson.
— Éditeur : Les Presses du réel, Dijon
— Collection : Documents sur l’art
— Année : 2002
— Format : 21 x 15 cm
— Illustrations : quelques, en noir et blanc
— Pages : 189
— Langue : français
— ISBN : 2-84066-068-7
— Prix : 10 €
De A Ã B et retour; une introduction (extrait)
par Vincent Pécoil
La présente anthologie se propose de réunir des articles et des entretiens portant sur les relations entre l’art et la musique. Emprunté à un article de Kim Gordon, le titre du livre renvoie évidemment, outre au recueil de poèmes de Jim Morrison, à l’article séminal de Dan Graham intitulé « Rock My Religion », dans lequel celui-ci établissait des parallèles entre certaines pratiques ou conceptions religieuses et l’évolution de la musique rock. Les essais réunis ici, à commencer, bien entendu, par l’article de John Miller sur Dan Graham, peuvent être considérés comme la continuation des analyses qu’il a initiées. Comme le signale également le titre, les articles et entretiens choisis pour ce livre concernent presque exclusivement des artistes et musicien(ne)s américain(e)s — une décision qui relève en partie de l’arbitraire (autrement dit d’un goût personnel) mais également du fait que la musique pop américaine semble avoir été, plus que toute autre, traversée par la conscience de son propre statut au sein de la culture.
En notant que le rock prenait la relève des aspirations transcendantales de l’art d’avant-garde, Dan Graham s’inspirait notamment de Patti Smith, qui occupe une place centrale dans la vidéo Rock My Religion (dont le texte constitue à l’origine le script), au même titre, par ailleurs, que Sonic Youth, crédité au générique de certaines des idées développées par Graham.
« Patti [Smith] a fait un pas de plus : le rock comme forme d’art qui allait dépasser la poésie, la peinture et la sculpture (l’avant-garde) — tout autant que sa propre forme de politique révolutionnaire. Warhol et les autres artistes pop avaient amené la fin de la religion de  » l’art pour l’art « . Si l’art n’était que commercial, alors le rock exprimait ce désir transcendantal et religieux d’une émotion esthétique communautaire non marchande. Pendant un temps, dans les années 1970, la culture rock devint la religion du monde de l’art d’avant-garde. » [Dan Graham, « Rock My Religion », in Rock/Music Textes, Les Presses du réel, 1999, p. 101 (première version du texte : 1981)]
Plusieurs des textes rassemblés dans cet ouvrage poursuivent l’écriture de cette histoire récente des rapports art/musique, dont Warhol incarne l’autre figure déterminante ; qu’elle soit ironique ou non, son acceptation de la logique de l’industrie culturelle (sa transformation de l’atelier en usine, son adoption des techniques de production en série, des médias comme le cinéma ou la télévision, ou son rôle de producteur musical et d’entrepreneur de spectacle) constitue un moment charnière dans l’histoire de l’avant-garde, le moment à partir duquel la fonction de celle-ci dans les mécanismes de l’économie culturelle est devenue visible pour la première fois. En détruisant la prétention de l’avant-garde à l’autonomie, Warhol a laissé aux avant-gardes suivantes deux alternatives : soit reconnaître ouvertement leur rôle économique, soit travailler à renverser un modèle de production d’avant-garde institutionnalisé [Craig Owens, « The Problem with Puerilism », in Beyond Recognition ; Representation, Power, and Culture, University of California Press, 1992, pp. 265-266].
Et c’est bien en fonction de cette alternative, également, que se sont définies les stratégies des musiciens pop ; si leurs tactiques et leurs réponses peuvent différer, les musiciens et les artistes « visuels » n’en sont pas moins pareillement confrontés aux mêmes contradictions inhérentes au stade avancé du capitalisme. Il n’est pas fortuit que la musique, ou plus exactement le groupe de rock (ce qui implique également la mise en scène de cette musique, et son packaging) soit devenu un matériau pour de nombreux artistes, au travers d’essais, de vidéos ou de formations plus ou moins fictives [On se référera notamment à l’article de Hunter Drohojowska republié dans ce recueil]. Car la musique rock, en tant que phénomène de masse, produit de l’industrie culturelle et forme artistique à part entière, concentre et exacerbe toutes les apories auxquelles l’art se confronte généralement aujourd’hui — apories touchant aux questions de l’authenticité et de la facticité, de l’autonomie et de l’aliénation, de l’opposition ou de l’acceptation des valeurs du capitalisme, etc.
Par ailleurs, si la culture de masse représente l’Autre refoulé du Modernisme artistique — son repoussoir, ce envers quoi il s’est en permanence défini au cours de son histoire — le postmodernisme consiste dans le retour de ce refoulé. Il n’est donc pas surprenant que, là encore, la musique pop soit tenue pour un phénomène essentiel, et constitue un point crucial dans le débat sur high et low cultures. Car c’est précisément l’auto-affirmation des cultures minoritaires et leur émergence dans la conscience collective qui a déstabilisé la croyance moderniste voulant que le grand art et la culture populaire devaient être maintenus catégoriquement séparés; or une telle ségrégation fait beaucoup moins sens à l’intérieur d’une culture minoritaire donnée, en l’occurence la pop, qui a toujours existé dans l’ombre de la « haute » culture dominante.
Ceci dit, la division entre high et low cultures se voit reconduite au sein même de la culture prétendument i>low par les puristes, entre le rock « authentique » et la musique pop « commerciale ». Cette distinction entre authentique ou inauthentique provient du fait que le rock a été traditionnellement évalué par la critique musicale en termes de valeur de vérité, et interprété comme un combat entre l’expression spontanée et les manœuvres manipulatrices de l’industrie musicale. Non sans ironie, cette distinction entre authentique et inauthentique, entre rock « pur » (autrement dit « artistique ») et « commercial » reprend exactement les termes du discours adornien sur l’opposition irréductible entre l’art authentique et les produits nécessairement factices de l’industrie culturelle.
(Texte publié avec l’aimable autorisation des éditions Les Presses du réel)
Les auteurs
Marie-Pierre Bonniol est programmatrice et critique musicale, elle a notamment tenu une chronique (« crossings ») sur les connexions art/musique pour Revue & Corrigée. Vit à Paris.
Hunter Drohojowska est critique d’art notamment pour le Los Angeles Times. Vit à Los Angeles.
Kim Gordon est musicienne, notamment au sein de Sonic Youth. Elle a également été critique d’art pour Artforum et Voice. Vit à New York.
Ulrike Groos & Markus Müller ont notamment publié un recueil d’interviews sur les rapports entre art contemporain et musique pop, Make it Funky!, ed. Oktagon. Vivent en Allemagne.
Mike Kelley est artiste. Il a également joué dans Destroy All Monsters et The Poeties. Vit à Los Angeles.
Jutta Koether est artiste. Elle a également été critique d’art et critique musicale, pour le magazine Spex (Cologne) sous le pseudonyme de Mrs. Benway. Vit à Berlin et New York.
Christian Marclay est artiste. Vit à New York.
John Miller est artiste et écrivain. Il a joué dans The Poetics. Vit à Berlin et New York.
Robert Nickas est critique d’art et commissaire d’expositions. Il a notamment été le rédacteur en chef de Index (New York). Un recueil de ses textes, intitulé Vivre Libre ou Mourir, a été publié aux Presses du réel, en 2000. Vit à New York.
Raymond Pettibon est artiste. Vit à Los Angeles.
Andrew Wilson est critique d’art, rédacteur adjoint de Art Monthly (Londres). Vit à Londres.