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Presse ne pas avalez

PSophie Collombat
@12 Jan 2008

À travers ses dessins, sculptures et installations, l’Américain Sam Durant se joue de la politique, de l’art, de la culture populaire pour renvoyer au spectateur le reflet de sa propre condition. Une prise de conscience dans une dimension purement esthétique.

L’artiste américain Sam Durant présente une série de sculptures, dessins et installations, toutes étroitement liées. Visible de l’extérieur, la pièce principale se compose d’un fauteuil monumental en bronze, imitant l’osier, placé sur un miroir quadrangulaire. Emprunté à l’un des posters les plus populaires du parti politique Black Panther Party for Self Defense, il renvoie à l’une des figures majeures de la lutte pour les droits civiques à la fin des années 60 aux États-Unis. Huey Percy Newton (1942-1989), le fondateur du parti à Oakland en 1966, occupait ce siège et menait la périlleuse mission de la «libération» des afro-américains. Cette copie de relique appartient à la série des «proposal for monuments», que l’artiste développe depuis quelques années pour commémorer des actions politiques ou idéologiques de ces trente dernières années, qui ont plus ou moins échoué.

Mêlant des techniques artistiques classiques (le dessin au fusain) et d’autres plus populaires (le tag) dans les pièces alentour, il évoque les événements liés à cette période fortement politisée. Le mobile supportant des couvercles de poubelles qui servaient de boucliers aux manifestants est accompagné par un dessin au fusain très réaliste, qui reprend un article de presse de l’époque. Il met d’ailleurs en garde le lecteur en affirmant plus loin Press don’t swallow (Presse ne pas avaler) et l’incite à agir, à se déplacer et à se retourner pour regarder ses œuvres dans tous les sens. D’ailleurs, L’ennui est contre-révolutionnaire et ses projectiles fidèlement reproduits, associés à des traces coulantes de bombes de peinture de différentes couleurs, témoignent de la possibilité d’interventions et de luttes. De même, les slogans et allégations qui les accompagnent illustrent les scènes qui se déroulaient sur la place principale de la ville d’Oakland, l’Alamada County Courthouse, à laquelle le siège faisait référence. Evoquant tout à la fois la violence, avec par exemple cette œuvre titrée The most beautiful sculpture is a paving stone thrown at a cop’s head, et la réflexion, les diptyques de Sam Durant s’adressent à toutes couches de la société. Rédigés en anglais, français et espagnol, ils ne connaissent de frontières ni géographiques, ni temporelles et s’adressent aux personnes qui refusent de céder (For People who refuse to knuckle down). L’utilisation simultanée de la représentation, du langage, de la trace lui permet aussi de réaliser des associations sémantiques multiples et de jouer sur plusieurs registres à la fois.

Cette multiplicité est d’ailleurs accentuée par l’emploi quasi-systématique du miroir depuis 1998. A la fois générateur de reflet et de réflexion, physique et mental, ce médium lui permet de citer au passage les artistes qu’il admire, tels que Robert Smithson, Dan Graham, Robert Morris ou Joan Jonas, mais aussi et avant tout de montrer qu’il existe différents points de vue sur les faits et leur analyse. L’histoire — qu’elle soit artistique, politique ou culturelle — et son appréciation ne sont pas univoques : les détournements et retournements restent possibles. En témoignent les deux pièces intitulées Question Reflection et Question Intervention. Placé à même le sol, le dispositif mêlant encore image et texte, permet de confronter le spectateur aux spéculations de l’artiste. Les injonctions écrites en majuscules convoquent à un questionnement sur le devenir de l’art, dans sa dimension spatiale et temporelle. «L’art est mort, ne consommez pas son cadavre. Avant d’écrire, apprenez à penser».

Détournements, retournements, action, réflexion, dans sa démarche toute particulière, l’artiste se joue de la politique, de l’art, de la culture populaire et renvoie au spectateur le reflet de sa propre condition dans son interaction avec son environnement. «La culture est l’inversion de la vie», ironise-t-il. Plus qu’une proposition de monument commémoratif, l’artiste s’interroge sur les différentes manières de représenter et d’interpréter les évènements politiques dans le champ particulier de l’art. En y introduisant des thématiques principalement traitées par la presse, il introduit l’idée d’une possibilité de prise de conscience de phénomènes sociétaux dans une dimension purement esthétique.

Sam Durant :
— Proposal for a Monument to Huey Newton at Alameda County Courthouse; Oakland, CA, 2004. Bronze, acier inoxydable, béton. 147 x 121 x 121 cm.
— Question Reflection, 2005. Laque en spray sur miroir. 130 x 170 cm.
— Question Intervention, 2005. Laque en spray sur miroir. 120 x 240 cm.
— L’ennui est Contre-Révolutionnaire, 2005. Acier, couvercles de poubelles, fil de fer, graphite sur papier. Dimensions variables.
— For People Who Refuse, 2005. Graphite et laque en spray sur papier. Diptyque : 76 x 111 cm. Chacun : 76 x 55 cm.
— The Most Beautiful Sculpture, 2005. Graphite et laque en spray sur papier. Diptyque : 55 x 152. Chacun : 55 x 76 cm.
— The Press, 2005. Graphite et laque en spray sur papier. Diptyque : 76 x 111 cm. Chacun : 76 x 55 cm.
— Aquí Está Su Balota, 2005. Graphite et laque en spray sur papier. Diptyque : 55 x 152 cm. Chacun : 55 x 76 cm.
— La Culture est l’Inversion de la Vie, 2005. Graphite et laque en spray sur papier. Diptyque : 111 x 76 cm. Chacun : 55 x 76 cm.
— Hacer es la Mejor Manera de Decir, 2005. Graphite et laque en spray sur papier. Diptyque : 76 x 111 cm. Chacun : 76 x 55 cm.

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