Isolé dans un espace cubique, l’auteur de Press fait face à une sorte de lampe d’architecte animée de mouvements de balayage. Assis sur une chaise pliante, il a tout l’air de subir un interrogatoire, ou, plutôt, un test semblable à celui qui ouvre le film Blade Runner et qui consiste à dépister la présence de répliquants, des humanoïdes ressemblant trait pour trait aux humains. L’accessoire, a la fois source d’éclairage et partenaire du danseur, instaure dans cet espace confiné un climat de suspicion.Suspicion vis-à -vis du danseur, d’abord, qui s’évertue à démontrer sa normalité en enchaînant les poses de mannequin (action d’enlever une veste, d’ajuster un vêtement, léger contraposto), puis, en direction du décor, dont le plafond s’abaisse subitement, réduisant un peu plus l’espace offert à l’interprète.
Tout d’abord ludique, ce dispositif se poursuit par paliers qui rythment le déroulement du spectacle jusqu’à sa fin, inévitablement tragique. L’espace semble doté d’un mouvement autonome, qui fait du décor une entité presque vivante, un partenaire de jeu cruel. Et tandis que le dispositif s’anime, constitue peu à peu un dé-corps avec lequel composer (l’éclairage réagit aux mouvements du danseur, comme le ferait un organisme vivant), l’humain semble au contraire se dérégler.
Comme en proie à un mécanisme enrayé, Pierre Rigal multiplie les gestes de dislocation. Il campe un être manipulé par des forces exogènes : ses membres se trouvent « aimantés » aux parois, ou bien se met-il à bouger au ralenti, par saccades, et se fige en « arrêt sur image ».
Déjà présents dans Erection ou Arrêts de jeu, ces procédés composent une bonne partie du matériel chorégraphique exploité par Pierre Rigal. Il se dégage d’ailleurs de cette performance — qui, certes, relève parfois de la pantomime ou du music-hall —, une qualité de mouvement bien spécifique au jeune Toulousain : l’utilisation de la raideur, de l’hyper tonicité musculaire, souvent bannies en danse au profit de la fluidité et d’un travail de « lié » entre deux mouvements. Ici rien ne subsiste de ces moelleux enchaînements où se greffe le vécu d’un corps entre deux images. On assiste donc à l’évolution d’un personnage privé d’âme, tout juste bon à répondre aux stimuli auxquels il doit faire face.
Cet « individu-produit » imaginé par le chorégraphe se trouve même un moment privé de tête. Debout, les épaules touchant le plafond qui s’est abaissé jusqu’à leur hauteur, Pierre Rigal nous donne l’illusion d’une décollation parfaite tandis qu’on entend ces mots : « I leave in my head, stranger … ». Ce serait l’acmé du spectacle, car ensuite le plafond continue de s’abaisser, par paliers, entraînant de nouvelles contorsions qui jamais n’atteignent la force de cette image. Et lorsque enfin l’espace se referme complètement, engloutissant son auteur, c’est presque un soulagement. Le répliquant a disparu en même temps que son cauchemar.
— Conception réalisation, chorégraphie et interprétation : Pierre Rigal
— Construction, éclairage et machinerie : Frédéric Stoll
— Musique : Nihil Bordures
— Assistante artistique : Mélanie Chartreux
— Mise en production : Sophie Schneider