Le programme annonçait une « vidéo-performance ». Pour la vidéo, rien à dire, on en a eu pour son argent. La performance est, quant à elle, réduite à une entrée, pas vraiment en fanfare, mais qui donne le ton de la soirée − le duo, joyeusement costumé, joue aux contrôleurs et déchire lui-même les billets des spectateurs − et à une sortie pétaradante par la porte latérale, côté cour du théâtre − « J’y vais, tu me déposes ? ».
Les touche-à -tout que sont Irène Di Dio et Gianfranco Poddighe se situent dans la tradition du music-hall et du spectacle de striptease de Pigalle, certes en plus pop, rock, country (cf. la référence à Ry Cooder) et même blues et ne se prennent pas trop au sérieux. Leur vidéo, réalisée avec les moyens du bord, in situ, lors d’une résidence/présidence au Point éphémère, les détaille dans un show musical entrecoupé de confidences off, chacun parlant à tour de rôle.
La notion de rôle est ici importante car les deux artistes ont su, avant tout − et ce n’est déjà pas si mal − fabriquer leur personnage. Chaque composante s’exprime dialectiquement – on ne parle pas de dialectes, qu’ils maîtrisent eux-mêmes parfaitement, que ce soit l’italien, l’anglais ou le français, mais d’une certaine façon de penser − dans le cadre du couple artistique qu’ils forment.
Cette répartition des tâches (la tête et les jambes ? Pas exactement, plutôt, dans le cas qui nous occupe, les jambes de la danseuse, filmées en gros plan, coupées du reste du corps, et les menottes du guitariste, trop absorbé par son art et qui de ce fait aura oublié de mettre un pantalon avant de sortir) remonte au moins à la commedia dell’arte et à Paillasse. Depuis cette époque, les sketches clownesques reposent sur des contrastes nets entre deux caractères distincts − et, dans le cas du « one man show », de la schize (séparation) entre le moi et le surmoi. Ici, on ne saurait dire a priori qui joue à l’auguste, qui mime le clown blanc, tant les deux semblent étranges, sibyllins, indéchiffrables. Tentons un peu de décoder.
Le film est, formellement parlant, un biopic. Un biopic « expérimental » bien sûr, autrement dit mal fagoté. Sciemment. Délibérément. Monté un peu n’importe comment. Avec des gels d’image incongrus, des sons désynchronisés, un déroulant illisible. Ainsi que des citations trahissant une certaine idée de la cinéphilie (cf. le film un peu surcoté Johnny Guitar ou la phrase godardienne fatigante à la longue et même dès le départ : « Qu’est-ce que j’peux faire ? J’sais pas quoi faire ! »). Des « stock-shots » et un minimum de « found footage » comme celui de la RAI qui nous plonge dans le nostalgique Parole, Parole interprété par un autre couple mythique: les improbables Mina et Alberto Lupo captés en close-up, au meilleur de leur forme, en 1972.
Comme c’est désormais l’usage, on doit donc faire la part des choses entre les faits qui sont relatés (les désirs et prétentions artistiques de chacun, dès l’âge de la tendre enfance, les émissions de variétés vues à la télé, du temps du noir et blanc, les autres sources d’aspiration et d’inspiration) et les fausses pistes sur lesquelles Irène Di Dio et Gianfranco Poddighe veulent nous entraîner. Leur conception de la danse est proche de ce genre littéraire actuel qu’on appelle l’autofiction. D’autres théories rapprochent cette démarche artistique du travail des espions: on sait qu’une des activités de la « deuxième colonne » consiste à créer ce que John le Carré appelle des « légendes », rendant plausible l’invraisemblable et crédibles les couvertures des agents infiltrés. L’art (qui) consiste à mystifier…
Au fait, maintenant que nous avons visionné leur bande-annonce, il serait peut-être temps d’aller voir Irène Di Dio et Gianfranco Poddighe sur scène, en chair et en os !
– Conception et interprétation: Irène Di Dio et Gianfranco Poddighe