Dès le rez-de-chaussée de la galerie, le visiteur pénètre dans un espace du désordre, avec une impression de calme après la tempête. Un énorme container blanc semble avoir arrêté sa chute au centre du patio et repose en équilibre face à un contrepoids fait d’une bâche contenant des objets dissimulés mais dont on remarque un manche de guitare qui perce le fond du sac.
L’art de Joris Van de Moortel fait le plus souvent appel à différents genres : installations, performances et créations sonores, avec un certain goût pour la mise en scène des espaces d’exposition. Cette installation d’ampleur architecturale est un bon exemple de sa faculté d’habiter un lieu et de le transformer à partir de matériaux très basiques comme les panneaux préfabriqués, les fils électriques ou les meubles de bureau.
L’équilibre est au centre des préoccupations de l’artiste, celui des forces d’attraction, mais aussi celui de l’espace construit et déconstruit. Il fait violence aux objets, il joue du contraste entre le désordre au centre de la pièce et l’ordre régnant sur les murs de côté avec de grands panneaux blancs ordonnés en rectangle dans lesquels une fenêtre ouvre sur une matière froissée et translucide bleue. C’est tout un jeu de construction qui a pour embryon la destruction.
En montant à l’étage, on porte un autre point de vue sur l’œuvre. Ce n’est plus le mouvement de chute que l’on observe mais celui d’une ascension ou d’une excroissance, comme si ce grand parallélépipède creux avait grandi trop vite, allant chercher la lumière vers l’espace vide qui le surplombe.
Ici cohabitent les œuvres de l’infime de l’artiste tunisien Ismaïl Bahri qui contrastent avec l’extraversion de Joris Van de Moortel. Il faut les contempler longuement pour percevoir leur fragile identité. Ismaïl Bahri multiplie les médiums: vidéo, photographie, dessin ou installation, posant la question de la surface, de ce qui s’y reflète ou s’y cache. S’intéressant dans un même temps à la trace et au mouvement infime que l’on peut percevoir à partir du moment où l’artiste fixe le processus temporel dans l’œuvre réalisée.
On pourra ainsi découvrir dans sa vidéo Orientations, une déambulation dans la ville de Tunis montrée à travers son seul reflet à la surface d’un verre rempli d’encre noire. Dans les photographies de la série Sang d’encre, l’artiste s’intéresse encore à la surface, celle de la peau, et à ce qui vient s’y déposer, l’encre noire. Lorsque l’encre infiltre les pores et les rainures de la peau, elle révèle un paysage organique enfoui dans notre épiderme.
Avec la série Latence, c’est l’évaporation de l’encre mêlée au lait qui, coagulant à la surface du papier noir, crée l’œuvre. Le temps et le processus font partie de l’image produite, l’artiste met en place un dispositif dans lequel le visible va laisser une trace. D’un dessin à l’autre, il obtient un résultat assez semblable mais aussi chaque fois différent, variant en fonction des stries qui s’accumulent selon le temps pris par la bulle d’encre à sécher.
D’un certain point de vue, Ismaïl Bahri rejoint la démarche de Joris Van de Moortel sur un point: il organise l’avènement de la forme et donne ainsi naissance à une œuvre qui fixe et révèle son processus de fabrication au cœur de l’image ou de l’objet produit.
Å’uvres
— Ismaïl Bahri, Sang d’encre, 2009. Série de six photos couleur.
— Joris van de Moortel, Erratum musicale for 3 guitars and a metronome, 2012. Vue d’exposition.
— Ismaïl Bahri, Latence, 2011. Lait et encre sur verre, sous cadre.