PHOTO | CRITIQUE

Prayer for the Americans

PEmmanuel Posnic
@12 Jan 2008

Artiste tout autant que documentariste et chroniqueur, Allan Sekula porte un regard critique et partisan sur la toute puissante Amérique. Prayer for the Americans s’adresse tout autant aux Américains, victimes ou complices, qu’aux habitants du monde.

La situation en appelle au recueillement. La toute puissance américaine attise un feu qu’elle croyait éteindre : gendarme du monde, ultime force d’obstruction des conflits locaux et internationaux, elle est devenue pour beaucoup un empire parasite, vendangeur des libertés, casseur des utopies humanistes les plus fondamentales. Son président personnifie cette déroute et cristallise autour de son action l’armée des mécontents.

Alors, la prière est peut-être le dernier refuge après les avertissements : Prayer for the Americans s’adresse tout autant aux Américains, victimes ou complices, qu’aux habitants du monde. L’exposition d’Allan Sekula, éminemment critique à l’égard du potentat américain, investit le champ de la photographie documentaire et de la vidéo. Elle envisage la lutte comme une métaphore poétique, un remède muet face à la profusion de paroles et d’actes de ceux qu’elle pourfend.

L’installation chez Michel Rein s’articule en deux temps. Prayer for the Americans 1 présente 39 diapositives couleurs d’une Amérique de l’ordinaire, véritable visite sans commentaire de ce qui constitue le vide ou pour mieux dire la neutralité de la réalité américaine. Paysages bucoliques, personnages sans envergure véritable, décors kitsch ou artificiels qui signalent une certaine ambiguïté : derrière l’hyperréalisme de ces images (au sens du travail d’un George Segal par exemple), derrière ces mini-récits sans conséquence, degré zéro du documentaire, se livre une Amérique de la force tranquille, ferment idéal de l’innocence florissante, de l’aveuglement volontaire et/ou, programmé. Et pourtant. Derrière ces cartes postales planent l’ombre d’une figure autrement ambiguë : celle de Mark Twain, enfant du Missouri d’où proviennent ces images, créateur des Aventures de Tom Sawyer (1876), celles d’Huckleberry Finn (1885) et catalogué comme l’un des grands chroniqueurs de cette Amérique juvénile et naïve alors qu’il fut aussi un anti-impérialiste convaincu.

Prayer for the Americans 2 parle également de l’Amérique et des Américains mais en se concentrant cette fois-ci sur une vision urbaine. Trois panneaux photographiques qui mêlent en superposition des vues rasantes des rues new yorkaises. Trois panoramas articulés comme un long travelling qui livrent le spectacle de la rue (des piétons, des passagers de métro, un homme et son serpent en représentation improvisée devant les badauds) et l’intérieur des vitrines des restaurants (la fête anniversaire d’une grand-mère et de sa fille) : une Amérique « Underground » à la hauteur du trottoir, colorée, bruyante, anonyme, l’expression du fameux Melting Pot qui aura consacré la nation américaine. Des événements en soi finalement, loin des turbulences politiques et des projecteurs hoolywoodiens.

Qui veille sur l’Amérique ? Qui prie pour elle ? Mark Twain, les quatre-vingt ans de cette grand-mère, cette métropole cosmopolite sont-ils des ressources suffisantes pour combler la torpeur d’un pays à l’élite confiante et arrogante ? Fidèle à sa pratique, Allan Sekula aborde son sujet par une approche détournée, à la fois métaphorique et sans concession : artiste tout autant que documentariste et chroniqueur, Sekula porte un regard critique et partisan sur une situation et des intentions potentiellement désastreuses.

Le mécanisme qu’il met en place se retrouve également dans la troisième installation (Tsukiji, 2001). Cette vidéo plante en décor l’industrie de la pêche en Asie, ses hangars, ses marchés, ses hommes, ses allées bondées, sa circulation intensive, tout ce qui fait aujourd’hui l’activité des grands sites portuaires internationaux. Car ils se ressemblent tous : Allan Sekula nous le montre, encore une fois sans discours, à la suite de ses précédents exercices (Fish Story, 1995-1996). Tous témoignent, à la lumière d’un événement politique, économique ou social, des conséquences de la mondialisation. Ils traduisent une certaine uniformité dans les pratiques et un épuisement des particularismes locaux. Tsukiji, comme les autres pièces de cette exposition, dresse le constat d’un système qui arrive au bout de ses grandes manœuvres. Et fait d’Allan Sekula le spectateur attentif de cette dissolution.

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