Philippe Dollo
Prague ou le deuil inachevé
« Philippe Dollo (1965) travaille en photographe indépendant depuis 1990. Au gré de ses voyages, il constitue des ensembles proposant une vision décalée et singulière des villes ou des pays dans lesquels il s’installe pour un temps souvent long. Ainsi l’histoire intime se glisse parfois dans le travail.
C’est le cas dans cette série Prague ou le deuil inachevé où il confie son état d’âme aux images fugitives captées la nuit ou entre chien et loup. Sa photographie n’a d’autre vocation que de traduire un vécu sourd aux ors de cette cité. Si ce travail ne se construit pas comme une narration, le télescopage, les uns contre les autres, des éléments qui le constitue, décrit en filigrane une ville inattendue. » (Jean-Marc Lacabe)
« “Pour connaître l’âme et l’esprit des peuples étrangers, l’Art est la route la plus sûre.” (Tomas G. Masaryk)
Parfois, la vue rend aveugle. Il faut savoir fermer les yeux pour découvrir des visions plus subtiles, comme on peut avoir besoin de silence pour mieux entendre. Parfois, dans le silence aveugle perce une énergie presque palpable mais clairement abstraite; une vibration. Souvent, la ville est trop bigarrée et chaotique pour offrir au passant pressé sa musique la plus intime. La patience est demandée pour écouter le chuchotement de la rue, attendre l’heure tardive où la pierre se met à parler. L’humilité est requise pour aller retrouver la ville ailleurs entre les lignes de l’écrivain qu’elle abrite ou dans la lumière d’une peinture de maître.
Peut-on photographier l’énergie de Prague? Croquer un bout de la pomme slave? Peut on capturer pour retransmettre la fièvre intérieure pleine de pudeur et de retenue, la curiosité dans le détachement, la passion dans le souvenir d’un passé sombre, le chaos harmonieux des âmes et des architectures, la beauté exubérante mais discrète, et aussi l’humour, la satire et le sexe, armes secrètes des Pragois pour résister à la tristesse d’une vie qui s’écoule inexorablement et surtout garder coûte que coûte l’esprit en liberté. Vingt ans de démocratie — le plus bel âge de la vie? — mais le plus fragile aussi.
Vingt ans avait la jeune République Tchèque lorsque les nazis ont verrouillé la liberté dans le fer et le sang. Trop de fois au fil de l’histoire, les voisins puissants sont venus tenter de mettre au pas l’esprit rebelle. Les Tchèques en connaissent un brin sur la somme de souffrance à payer pour conserver ce trésor convoité qui n’a pas de prix, et qui jamais ne sera à vendre. » Philippe Dollo