Un plateau quasi nu, où l’on distingue au sol un peu de sable mêlé de sang. Un panneau vertical en bois, placé en fond de scène et, côté jardin, une formation de musiciens pieds nus. Entre les percussions traditionnelles et le saxo ténor, surgit une femme vêtue de rouge dont le chant domine le silence et l’obscurité. Il s’agirait plutôt d’une complainte, mais comment deviner le sens de ces paroles étrangères ?
On s’accroche à une tonalité, à une impression plaintive et douloureuse pour reconstituer un semblant de sens : le chant qui ouvre Poussière de sang et accompagne les premières évolutions des danseurs n’est pas sans mystère. L’offrir brut, sans aucune explication de texte, renforce sans doute son caractère dramatique. Tout comme la danse déployée par la compagnie Salia nï Seydou, le langage qui nous interpelle trouve sa place entre étrangeté de l’abstraction et éloquence de l’expressionnisme.
Parmi les enjeux majeurs de la démarche chorégraphique de Salia Sanou et Seydou Boro il y a l’exigence quasi ontologique de définir une « danse africaine contemporaine » ou encore une « danse contemporaine africaine », « d’Afrique » peut-être? Le champ est posé, dans toute sa complexité, dans toute sa fertilité aussi.
On comprend immédiatement en voyant évoluer les interprètes de Poussière de sang qu’il n’existe pas de frontière étanche entre danse traditionnelle et expression contemporaine. Autant un ballet classique différera parfois de manière choquante d’un spectacle de danse contemporaine, mettons « européenne », autant il existe une proximité technique entre la danse africaine traditionnelle et son pendant contemporain. Pas de rupture dans le rapport au sol, dans l’organisation verticale ou dans l’enchaînement et le suivi des structures rythmiques. Demeure une gestuelle relativement abstraite, qui se démarque par une exploration presque obsessionnelle de motifs répétitifs.
Il ne s’agit pas de transe, de rituel, mais plutôt d’une technique de corps doublé d’un mode expressif. Par la répétition, les deux chorégraphes créent des motifs identifiables à partir desquels il faut composer du lien. On reconstitue de la fiction à partir de figures assignables, de bribes d’un récit étiolé. Corps qui s’effondrent au sol, haletants, à bout de souffle, luttes amicales, presque ludiques, mouvements d’ensemble, festifs, militaires… Il se dessine un paysage impressionniste, composant une réponse aux évènements qui marquèrent l’inauguration de La Termitière, centre de développement chorégraphique fondé à Ouagadougou le 16 décembre 2006. C’est que trois jours plus tard, une fusillade éclata entre policiers et militaires, plongeant la population dans un climat de violence inattendu, et rappelant aux chorégraphes à quel point l’équilibre politique est parfois précaire.
Si l’impression de joie l’emporte sur l’ensemble, c’est que, malgré le drame, malgré la présence fantomatique des armes ou des désirs mégalomaniaques, les corps se relèvent sans cesse et toujours. Dans cette lutte contre la pesanteur, le danseur triomphe avec un incroyable déroulé du dos. Et l’on saisit, en cet endroit précis, toute l’envergure du travail qui s’y déploie.
Â
— Chorégraphie : Seydou Boro et Salia Sanou
— Lumières : Eric Wurtz
— Costumes : Martine omé
— Scénographie : Ky Siriki
— Danseurs : Salia Sanou, Seydou Boro, Adjaratou Ouédraogo, Ousseni Sako, Bénédicth Sene, Boukary Séré, Asha Thomas
— Musique et interprétation : Djata Melissa Ilebou (texte et chant), Mamadou Koné (voix, guitare, balafon, flûte), Pierre Vaiana (saxophone, percussions, voix), Oumarou Bambara (djembé, balafon, tambour d’aisselle, ngoni), Adama Dembélé (tambour d’aisselle, ngoni)