La biographie d’Édouard Boyer est à imaginer, comme lui-même nous y encourage : « A l’époque de la bio-éthique et de la bio-politique, la vie, ma vie, ma propre vie semble constituer un tel enjeu pour la société qu’au lieu de la défendre comme une forteresse assiégée, j’entends la livrer à tous les intéressés ».
Édouard Boyer décide d’indexer sa vie aux variations des profits d’une entreprise commerciale grâce à une bio-taxe, et de l’indexer également aux désirs de tous les bio-graphes volontaires, via Internet. Bio-Graphie d’Edouard Boyer met à disposition un site sur lequel il est possible d’infléchir et de parasiter le cours de sa vie en décidant ce qu’il doit vivre, ce qu’il doit faire, voir ou connaître. A cette écriture biographique, Édouard Boyer répond par la réalisation de toutes les commandes, sur le site : http://www.edouardboyer.net
Qu’il pratique des sondages (Êtes-vous satisfaits de la réalité?) où qu’il crée une entreprise de mode sur internet (Fashion-Nation, 1998), nous encourageant à mettre nos « talents artistiques au service de la France » en redessinant le drapeau tricolore à partir d’une palette graphique, Édouard Boyer manipule avec brio les soi-disantes techniques d’information pour mieux les parasiter. Ce travail résolument critique pousse parfois à la limite du cynisme lorsque, par exemple, l’artiste rencontre des prostitués à qui il offre de subvertir le contrat habituel qui les lie aux clients (Pour travail 6, vidéo, produit et réalisé par Stéphane Pichard, 2001). En revanche, on ne peut s’empêcher de sourire quand il nous propose ses services sur www.multimania.com/thankyou/ comme suit :
Edouard Boyer dit merci à votre place à la personne de votre choix.
Edouard Boyer préserve votre anonymat en mettant son nom à votre disposition.
Edouard Boyer n’opère aucun choix ni aucune censure .
Veuillez compléter la phrase « Edouard Boyer dit merci à  » en inscrivant le nom de la personne à remercier .
Chaque remerciement s’affichera bientôt dans la liste .
Edouard Boyer dit merci à …
Depuis deux ans, l’artiste se livre à un véritable travail d’archiviste en recensant quotidiennement les émeutes qui ont lieu dans le monde entier. C’est à l’occasion de l’exposition Pour information qu’il décide de déléguer cette tâche en transformant la galerie Corentin Hamel en agence de presse. Un bureau équipé d’un ordinateur relié à internet ainsi que la presse (écrite et audiovisuelle) hebdomadaire de tous les pays fournissent les informations que la galerie est invitée à classer. Les émeutes sont ordonnées sans tenir compte de leur importance, de leur situation géographique ou encore de leur connotation morale. Un simili-communiqué est imprimé puis rangé dans un classeur :
Algérie.
Le lundi 10 décembre à El-Kseur, près de Béjaïa, en Kabylie, en Algérie, une émeute a éclaté suite à la rencontre le jeudi 6 décembre entre le chef du gouvernement et une délégation non mandatée.
4 manifestants blessés par balles / 4 policiers blessés par balles.
Parallèlement, des étiquettes autocollantes arborant le texte des émeutes recensées sont collées aux murs de la galerie et mises en vente. Ce dispositif sobre et efficace donne plus à penser qu’à voir, plus à participer qu’à contempler, comme c’est le cas pour bon nombre des travaux de Boyer.
Artiste protéiforme et non dépourvu d’humour, Edouard Boyer tente le difficile pari d’exposer dans l’espace clos de la galerie une pensée plus qu’une démarche se servant des différents réseaux d’information, virtuels ou non. On aurait d’ailleurs presque envie de voir ses étiquettes distribuées gratuitement sur la toile, suivant la copyleft attitude dont l’artiste s’est parfois fait le chantre. Reformulant les principes des droits de l’auteur, la Licence Art Libre ouvre en effet l’œuvre au public en lui permettant de la copier, de la transformer et même de la diffuser en toute liberté. Développé avec l’arrivée d’internet et les nouveaux modes de production artistique qu’il entraîne, le « copyleft » redéfinit l’idée d’œuvre d’art en distinguant l’œuvre originelle des œuvres conséquentes.
Derrière cette nouvelle façon de penser l’art se dessine une volonté militante de contrecarrer les traditionnels réseaux économiques de l’art: « La Licence Art Libre défend une économie propre à l’art, basée sur le partage, l’échange et la joyeuse dépense. Ce qui compte en art c’est aussi et surtout ce qui ne se compte pas », lit-on sur le site www.artlibre.org. Mais ce n’est pas de copyleft dont il s’agit avec « Pour information », ce qui tend tout simplement à montrer que les artistes alternent les démarches en fonction des lieux qu’ils investissent.
La périlleuse et néanmoins possible cohabitation entre une pensée et les contraintes du marché de l’art n’est pas toujours simple à gérer; Boyer ne l’ignore pas et c’est, entre autres, ce à quoi il travaille.
— Dispositif nécessaire au recensement des émeutes : bureau, ordinateur, panneaux d’affichage, galerie Corentin Hamel, mur d’étiquettes classées par ordre chronologique.
— Édition en étiquettes autocollantes des émeutes 2000-2001.