Présentation
Joëlle Bolloch
Post Mortem
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Des multiples usages que l’avènement de la photographie a engendrés, celui de la prise de vue post mortem — ou après décès — constitue l’un des plus remarquables. Liée par essence à la perception et à la représentation de la mort dans une société donnée et aux rites funéraires de son époque, cette pratique, courante à la fin du XIXe siècle, a progressivement régressé sans toutefois jamais s’éteindre.
Réservée aux monarques, aux puissants ou aux illustres, la confection du «dernier portrait», visant à inscrire pour l’immortaliser le visage du disparu, relève depuis l’Antiquité de l’art des peintres, sculpteurs, graveurs et dessinateurs. Dès 1850, la photographie a prolongé et régénéré cette tradition en la rendant accessible au plus grand nombre. Garder l’image de l’être cher, de surcroît seule image disponible le plus souvent, pouvoir la transmettre, la diffuser dans la sphère intime, devient l’apanage de chaque famille, de chaque communaute sociale. Les premiers daguerréotypes attestent de cet engouement qui fait du photographe un auxiliaire nolens volens des rites mortuaires.
C’est évidemment autour de la représentation de l’enfant mort que se cristallisent les enjeux symboliques du portrait post mortem. À la brièveté de la petite vie enfuie répond la quasi-instantanéité de l’acte photographique. En outre, source ambivalente d’illusion et d’exactitude, la photographie excelle à représenter la mort comme un endormissement dans les bras des êtres aimés, substituant à la douleur de l’absence la contemplation d’un sommeil apaisé…
On trouvera dans cet ouvrage une sélection rigoureuse de cette iconographie particulière, extraite de l’œuvre de photographes célèbres ou anonymes, figeant en une troublante éternité des visages inconnus ou fameux.
Joëlle Bolloch, spécialiste de la photographie du XIXe siècle, est chargée d’études documentaires au musée d’Orsay.