Agnès Thurnauer
Portraits grandeur nature
Les “portraits”, qui constituent le fil rouge de l’exposition, avaient à l’origine été créés en une série de badges, comme un clin d’oeil malicieux à une histoire de l’art essentiellement masculine. Portés à un format sensiblement sculptural, ils dépassent alors la question du changement de genre pour accéder à une véritable incarnation biographique par la typographie, “les Portraits grandeur nature deviennent alors des portraits en plein » a-t-on pu lire à ce sujet, « puisqu’il y a ajout d’une qualité et non perte de sens ». Le changement de genre, qu’il soit d’ailleurs à l’égard des deux sexes, n’est alors qu’un élément qui accentue la personnification de ces artistes fameux et désormais androgynes. Pour Agnès Thurnauer, ces portraits grandeur nature font référence à la grande tradition du portrait dans l’histoire de l’art, et sèment le trouble quant à leur perception par leur public et leur acception littérale en general.
Dans le droit fil de cette réflexion sur le langage de la peinture et ses résonnances dans l’histoire de l’art, Agnès Thurnauer trouve son inspiration dans des représentations liant mots et images telles qu’elles étaient pensées au Moyen-Age. Cette série de petits tableaux dits “prédelles” reprend directement la forme et l’intention des images qui bordent le bas des retables à titre de commentaires. Depuis cette posture formelle presque critique, Agnès Thurnauer utilise la peinture pour établir une correspondance entre l’écriture et l’image, la syllabation et la modulation de la perception visuelle.
Une nouvelle fois le regardeur se sent piégé et volontairement plongé dans un champ sémantique complexe où se confrontent figuration, abstraction, langage et écrit. Enfin, Agnès Thurnauer introduit une nouvelle forme dans son travail conceptuel en réalisant un ensemble spectrale de grandes toiles dessinées à la craie. Elle confère également une donnée plus politique à sa réflexion. Sur fonds d’inquiétants crânes humains, se détache, telle une litanie anti-consumériste, un message menaçant : “Fuck the market”. A double tranchant, cette incantation rend hommage aux artistes maudits en même temps qu’elle interroge la valeur des oeuvres contemporaines, et l’arbitraire qui préside aux lois aléatoires du marché.
critique
Portraits grandeur nature