Philippe Vermès, Edouard Boubat, René Burri, Lucien Clergue, Denise Colomb, John Davies, Bernard Faucon, Larry Fink, Timothy Greenfield-Sanders, Frank Horvat, Arno Rafael Minkkinen, Isabel Muñoz, Anders Petersen, Marc Riboud, Sebastião Salgado, Jacqueline Salmon, Jan Saudek, Andres Serrano, Mike et Doug Starn, Arthur Tress, Michael von Graffenried, Sabine Weiss, Joel-Peter Witkin
Portraits et icônes
Depuis plus de vingt ans, au gré des rencontres, des sympathies, des admirations, Philippe Vermès accumule les portraits de ses confrères photographes. Il les réalise devant le fond neutre et immuable de son studio mobile, puis les magnifie dans des tirages subtils que le travail à la chambre grand format est le seul à permettre. Délibérément subjectif, l’ensemble qu’il nous propose aujourd’hui ne prétend pas offrir un panorama significatif des photographes de ces dernières décennies mais relève plutôt du portrait de famille. Sans doute faut-il chercher dans l’appartenance à un même groupe professionnel et générationnel (celui des photographes principalement émergés dans les années 1970-1995), l’origine de cette familiarité, de cette connivence qui, visiblement, le lie à ses modèles.
En présentant chacun de ces portraits accompagné d’une image représentative de l’oeuvre du photographe, cette exposition nous entraîne vers une aventure qui n’est pas sans risque: celle de la confrontation de l’homme avec l’oeuvre, qui induit le plus souvent l’illusion simplificatrice d’un épuisement possible de la genèse et du sens de l’oeuvre par le biographique. Cette tentation d’une adéquation trop stricte entre l’un et l’autre, ce besoin de mettre un visage derrière l’auteur, qui pousse les éditeurs à faire figurer le portrait d’un écrivain en quatrième de couverture de son livre, mènent rarement au-delà de l’anecdote. Il s’établit pourtant, ici, un curieux va-et-vient qui ne relève en rien d’une volonté explicative mais instaure au contraire un questionnement et un trouble.
A côté de la question de la valeur représentative de l’image choisie pour chaque diptyque par rapport à l’ensemble de l’oeuvre de chacun de ces photographes, est posée celle du pouvoir représentatif du portrait — ce fragment arraché au cours d’une vie — par rapport à la personnalité qu’il est censé condenser. A cette interrogation sur la possibilité de rendre compte du tout par la partie, s’ajoute le trouble dans lequel nous plonge notre désir de circonscrire une identité fuyante. En leur laissant une certaine liberté de se mettre en scène, Philippe Vermès semble renvoyer ses modèles à eux-mêmes, à l’image qu’ils souhaitent donner de leur personne, cette «tête de l’auteur» qu’ils construisent aussi en fonction de leur oeuvre. Ces photographes photographiés, ces arroseurs arrosés sont aussi les auteurs de leurs portraits.
Et plus profondément encore, si l’on tient pour vraie cette pensée attribuée à Léonard de Vinci qu’un homme, après quarante ans, est responsable de son visage. Dès lors, où sont les icônes? Où sont les portraits? Qui représente qui? Qu’apprend-on de l’oeuvre à travers l’être et inversement? Autant d’interrogations que nous renvoie ce jeu de miroir entre l’original et le reflet, l’identité et l’apparence détournée. L’essentiel est dans cet entre-deux, dans cette zone incertaine, dans les hiatus qu’elle recèle.