Michaël Clegg, Martin Guttmann
Portraits commandés/refusés (1980-2010)
Depuis 1980, Michaël Clegg et Martin Guttmann travaillent ensemble à la réalisation d’un projet photographique qui bouleverse les rapports entre pouvoir esthétique et pouvoir «réel». Ils ont choisi comme sujet de prédilection le portrait «officiel», hérité de l’époque de la Renaissance en Europe du Nord et qui subsiste de nos jours sous la forme des photographies des rapports annuels publiés par les grandes entreprises. Leurs portraits individuels ou de groupes questionnent les codes de représentation de la peinture classique et les signes attribués au pouvoir et à la hiérarchie dans la société contemporaine.
Les artistes s’interrogent sur les sièges et les formes du pouvoir dans la société post-industrielle en montrant, suivant une intention politique critique, les constructions et les artifices de cette classe sociale et en donnant à réfléchir aux codes de représentation de ce pouvoir. En dépeignant les personnalités dirigeantes de la société moderne (que ce soient les grandes familles bourgeoises, les cadres de la finance mondiale, les cercles d’initiés, les cartels, les politiciens… toutes sortes de genre qui alimentent nos fantasmes, nos fictions du pouvoir), ils mettent en avant le symbolisme du pouvoir de l’argent et la promulgation de la puissance masculine.
Si certaines de leurs œuvres ont été commanditées par des groupes de personnes souhaitant être «représentées» par l’image d’eux-mêmes, Clegg et Guttmann ont fait appel, au départ, à des acteurs qui se servent de ces codes préétablis. Ils adoptent, de façon exagérée et conventionnelle, les postures, les regards et les règles vestimentaires de ceux qui utilisent ce vocabulaire dans leurs vies, renforcé par la présence d’objets et d’accessoires caractérisant les richesses. Ce désir d’être représenté et de posséder cette représentation de soi-même constitue une signification universelle.
Cependant, les commanditaires ont la possibilité de refuser la photographie finalisée. Certains sujets ne se reconnaissent pas dans l’aspect fictionnel de la composition et rejettent l’image qu’on leur propose d’eux. Si la photographie leur plaît, les commanditaires deviennent prioritaires à l’achat. Sinon, la photographie réalisée sera réutilisée dans une seconde, voire une troisième version de la prise de vue. Clegg et Guttmann se réapproprie l’image, la découpe, la recompose pour recréer un autre portrait. Il n’est pas rare de remarquer des traces de montage sur les photographies de Clegg et Guttmann, traduisant l’assemblage de différents portraits les uns aux autres. Ceci renforce leur volonté de dresser le portrait d’une société artificielle et construite, d’établir une relation interne qui n’existe pas dans la réalité.
Le travail photographique de Michaël Clegg et Martin Guttmann pourrait être classer selon trois modes opératoires: le portrait fictif, où interviennent des acteurs et dont la relation de pouvoir entre l’artiste et le client est simulée; la commande où ils se confrontent directement aux puissants; et la collaboration où les décisions stylistiques sont négociées avec la personne photographiée.
Ce qui les intéressent c’est davantage l’interchangeabilité des rôles de chacun, qui est de l’ordre du déguisement, plutôt que les identités individuelles. La qualité formelle des poses contribue à souligner la fiction, éliminant tout naturel, privant le portrait de sa valeur réaliste en y introduisant un accent théâtral prononcé. La psychologie du sujet devient un comportement de classe. La disposition des sujets dans la composition visuelle des œuvres représente les expressions courantes et les symboles de l’autorité morale des personnalités. Le regard des sujets est chargé de cette supériorité que confèrent pouvoir et richesse dans une ambiance sombre et élégante comme dans un portrait néerlandais. Les sujets apprêtés aux costumes sur-mesure exhibent le maniérisme raffiné des classes privilégiées.
Vernissage
Jeudi 13 septembre 2012 Ã partir de 18h30